Au désert, par Monique Deregibus, photographe

©Monique Deregibus

Quand est-on véritablement vivant ?

Quand comprend-on que nous ne sommes pas de ce monde, ou si peu ?

Quand nous réveillons-nous de la torpeur que nous prenons pour l’existence ?

Il faut pour cela l’aide d’éléments initiatiques, lieux, objets, personnes, situations.

Il faut la chance, l’ouverture, la fêlure laissant passer la lumière.

Il faut basculer.

©Monique Deregibus

Publié par les éditions Loco, Galisteo Equivalences, qui rend compte des nombreux séjours (1989-1999, et 2017) de Monique Deregibus au Nouveau-Mexique (Etats-Unis), dans le désert de Galisteo, est superbe.

Aucun exotisme, une pureté minérale, une endurance des pierres dans la poussière des saisons renouvelées.

Des nuances de gris très subtiles, une patience du paysage bruissant de paroles muettes, ou écrites sur les roches en paroles de feu.

Là, des Indiens vivant sur les rives du Rio Grande il y a environ cinq cents ans ont gravé les roches, sans que l’on sache vraiment interpréter la signification de leurs pétroglyphes.

Que voulaient-ils faire entendre ? Quelle langue symbolique parlaient-ils ?

©Monique Deregibus

Il faudrait interroger la mémoire des végétaux, et des ciels immuables, et des nuages faussement indifférents.

Comment l’Indien d’autrefois voyait-il les pierres et déchiffrait-il leur langage ?

En photographiant les mêmes lieux à plusieurs années de distance, Monique Deregibus témoigne de la matité de leur présence, quoi qu’il advienne.

Les Américains testèrent dans le désert de Galisteo leur première bombe atomique, transformant la terre sacrée en pluie noire maudite.  

Tout est lié, tout est, tout.

On peut se passer de la copule et écrire sans verbe la juxtaposition des entités vivantes.

©Monique Deregibus

« saule rouge / Soleil / jaune » ; « tremble / blanc / été / rose » – poèmes recueillis oralement par le poète Jerome Rothenberg à la fin des années 1960 (lire Secouer la citrouille, éditions PUHR).

En revenant sans cesse sur le même motif, la photographe installée désormais à Marseille contemple probablement l’énigme de son destin.

Elle était là, peut-être, parmi la tribu, il y a des milliers de pleines lunes.

« Dieu noire / Etoile noire / obscurité »

Il y a quelquefois de la couleur dans le corpus de l’artiste, montrant la sinuosité d’une piste un peu plus rouge que le territoire brun qu’elle serpente.

©Monique Deregibus

Moby Dick s’est échouée dans le désert du Nouveau-Mexique, où les roches sont anthropomorphes, ou évoquant quelque animal fabuleux.

On pense à Entretien sur la montagne, de Paul Celan, au poème de la nature persistant dans la catastrophe de l’extermination.

« Tu sais, écrit-il. Tu sais et tu vois : Ici, en haut, la terre s’est plissée, s’est plissée une fois et deux fois et trois fois, et s’est ouverte au milieu, et au milieu il y a une eau, et l’eau est verte, et le vert est blanc, et le blanc vient de plus haut encore, vient des glaciers, on pourrait dire, mais il ne le faudrait pas, voilà la langue qui a cours ici, le vert avec le blanc dedans, une langue, pas pour toi et pas pour moi – car, je le demande, pour qui a-t-elle été pensée, la terre, ce n’est pas pour toi, je te le dis, qu’elle a été pensée, et pas pour moi -, une langue, hé bien oui, sans Je et sans Tu, rien que des Il, rien que des Ça, tu comprends, rien que des Elle, et rien d’autre. »

Un mégalithe semble particulièrement fasciner la photographe, pierre dressée par quelque Michel-Ange indien, ou simplement par le Temps.  

Un fantôme passe, c’est l’ombre de Bernard Plossu, qui a tant marché en ces jardins de poussière.

Monique Deregibus, Galisteo Equivalences, extraits de textes (français/anglais) d’Indiens hopi, navajos, pueblos et zunis traduits par Jerome Rothenberg, édition Eric Cez, Editions Loco, 2023, 110 pages

https://www.documentsdartistes.org/artistes/deregibus/repro.html

©Monique Deregibus

http://www.editionsloco.com/Galisteo-Equivalences

https://www.leslibraires.fr/livre/21975946-galisteo-equivalences-deregibus-monique-loco?affiliate=intervalle

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