
« Pour moi, les plus belles choses arrivent par coïncidence. C’est la partie la plus excitante de la vie. Je ne crois qu’aux coïncidences. » (Harry Gruyaert)
On apprend beaucoup en lisant les entretiens entre Harry Gruyaert et l’écrivain Brice Matthieussent, par ailleurs traducteur des plus grands romanciers américains (Jim Harrison, Bret Easton Ellis, Charles Bukowski, Jack Kerouac, Henry Miller, Paul Bowles, Robert Coover, John Fante…).
Publié par André Frère Editions dans la collection Juste entre nous (volumes Anders Petersen, Raymond Depardon, Jane Evelyn Atwood, Alberto Garcia-Alix, Max Pam, Smith, Klavdij Sluban, Paolo Roversi disponibles), cette conversation permet de mieux comprendre peut-être l’ampleur de l’œuvre du photographe né à Anvers en 1941 dans une famille très catholique.

On se souvient notamment des images en noir & blanc de sa Belgique natale, d’un documentarisme volontiers espiègle, de sa passion pour la couleur (Maroc, Inde, Egypte, Asie, Moyen-Orient, pop art américain), et de la fascination éprouvée devant la série des TV Shots, images de postes de télévision établissant un portrait éclaté mais très juste de la Grande-Bretagne en 1972 (livre chez Steidl).
Si William Klein allait au contact, avec une certaine forme d’agressivité, Harry Gruyaert aime maintenir quant à lui une distance toute graphique avec les personnages qu’il représente.

©Harry Gruyaert / Agence Magnum
« Je ne suis pas un photographe humaniste à la française comme Doisneau. Pour moi, la lumière, le paysage, l’architecture, les couleurs sont aussi importants que les personnes. Je crois que les arbres, la nature, les animaux comptent autant que nous autres, les humains. »
Nourri par la pensée surréaliste des synchronicités, le photographe n’aime rien tant que de se laisser surprendre par la façon dont les hasards semblent relever d’une logique supérieure – les anecdotes en ce sens abondent dans l’ouvrage.
Tout est évident, relevant parfois de la clarté de l’héraldique, mais aussi mystérieux, d’un secret sans effroi, pour le moins enthousiasmant – les images commentées sont reproduites au cœur du livre.
Admirateur du grand cinéma européen (Antonioni, Bergman, Visconti, Delvaux), où le temps est une donnée essentielle, Harry Gruyaert réalise aussi en 1965 un film en 16 mm sur sa petite amie Annemieke en train de faire l’amour avec son amant du moment, afin qu’elle comprenne à quel point il était fou d’elle, la filmer dans cette situation ayant permis au fond un désensorcelement intime.

De tempérament nomade – jusqu’à ce qu’il rencontre sa compagne Agnès Sire, directrice actuelle de la Fondation Henri Cartier-Bresson -, l’artiste craint le fil à la patte, préférant généralement la solitude et la liberté aux réunions de groupes, même les mieux intentionnées (pour l’agence Magnum, qu’il rejoint comme membre à part entière en 1985).
« Faire une photo, c’est à la fois chercher un contact et le refuser, être en même temps très présent et parfaitement absent. »
Pourquoi photographier ?
Pour rassembler ce qui s’éparpille.
Pour témoigner de la valeur du hasard.
Pour s’étonner encore.
Pour la sensation d’accord jusque dans la discordance.
Pour la beauté des femmes.

Constat : « Les gens vivent dans leur téléphone beaucoup plus que dans la réalité. Loin de devenir plus grand, leur monde rétrécit. Ils vivent le contraire de ce que j’ai vécu au Maroc. »
Aller vers l’élargissement du moi en rendant compte du mystère de ce qui s’organise pourtant naturellement dans l’espace, voilà donc tout l’art de Harry Gruyaert, pour qui les couleurs en leur énergétique particulière relèvent des champs magnétiques.

Harry Gruyaert, conversation avec Brice Matthieussent, maquette Pierre-Marie Gély, André Frère Editions, 2023, 120 pages
https://www.andrefrereditions.com/livres/nouveautes/harry-gruyaert/
Harry Gruyaert est représenté par Magnum Photos et Gallery FIFTY ONE (Anvers)