Vers la liberté, par Charles Juliet, écrivain

La Montagne Sainte-Victoire, vers 1900, Paul Cézanne

« Il m’arrivait d’avoir peur parce qu’il y avait souvent du brouillard, je me sentais isolé, coupé du village. Sentir les bêtes me rassurait. J’avais aussi une chienne et je lui parlais… (…) Il y avait un tremble dont les feuilles étaient toujours agitées par le vent… » (Charles Juliet)

Décédé en juillet 2024, Charles Juliet est de ces écrivains dont le parcours vers la lumière ne pourra manquer d’inspirer des générations de lecteurs futurs.

Les difficultés existentielles paraissaient pourtant insurmontables – lire notamment le récit autobiographique bouleversant Lambeaux et les premiers tomes de son journal au long cours -, mais l’ascèse, la discipline, le sacrifice par l’écriture ont permis à l’être accablé par la mort et l’âpre silence de renaître.

Dans ses entretiens avec son ami l’écrivain Rodolphe Barry, parus en 2001 chez Les Flohic Editeurs, et republiés aujourd’hui par Médiapop Editions – des extraits de ses œuvres accompagnent les propos contemporains -, l’ami de Bram van Velde et de Samuel Beckett emploie à plusieurs reprises ce verbe, renaître.

Vivre ne suffisait pas, il fallait se réinventer, aller vers le dépouillement, passer du moi au soi, s’universaliser, entrer dans un temps plus ample que celui marqué par les drames biographiques.

Charles Juliet a conçu son grand œuvre comme une entreprise d’exploration des espaces intérieurs, cette vastitude entrevue lorsqu’il était enfant, petit paysan gardien de vaches – l’école ne durait pour lui que six mois – s’ennuyant ferme, mais comprenant intuitivement la dimension de plénitude de la vie.

Ayant passé huit ans dans une école d’enfants de troupes à Aix-en-Provence, avant que de rejoindre l’Ecole de santé militaire de Lyon – il abandonnera, après trois ans de labeur, ses études de médecine pour la littérature et le besoin impérieux de lire -, Charles Juliet s’est construit entre champs et casernes où, malgré brimades et autres mauvais traitements, la fraternité régnait – comme au rugby, qu’il pratiquait avec passion.

Pourquoi écrire ? Pour rompre le silence menaçant le psychisme, pour être la voix des sans-voix, pour oublier (sujet de thèse disponible), pour transmettre quelques vérités – arriver à formuler le plus exactement possible fut, précise-t-il, le fruit d’un long combat : « Oui, les mots ne me venaient pas… Quand j’écrivais, il fallait que je fasse un travail de mineur, que j’aille déterrer ce qu’il y avait au fond. (…) L’écriture s’est présentée à moi comme un absolu. Il fallait tout lui sacrifier. »

Lecture d’Albert Camus et de Marguerite Yourcenar, rencontres à Mâcon du sculpteur Maxime Descombin, de l’écrivain Robert Margerit et de Michel Leiris, la littérature étant une succession de coups de foudre.

Solitude, concentration, nécessité absolue.

Lecture des mystiques chrétiens et soufis, des maîtres taoïstes, bouddhistes, zen : Bernard de Clairvaux, Maître Eckhart, Tchouang-tseu, Thérèse d’Avila, Krishnamurti…

« J’avais à éliminer une personnalité de surface que j’avais reçue de toutes ces années d’école, confie-t-il avec une extrême lucidité quant aux enjeux de l’écriture. J’ai dû me livrer à un travail d’élimination, de destruction. Pour partir à la découverte de celui que j’étais, mais que je ne connaissais pas… (…) Nous naissons physiquement et nous avons à naître ontologiquement. Tant qu’on n’a pas pris conscience d’une manière extrêmement intense, vivante, des recès de la psyché, on n’a pas fait ce travail de dénudation qui prépare la venue de la seconde naissance. »

Ecrire pour atteindre la part inaliénable de soi-même.

L’art véritable est à cette mesure, notamment celui de Cézanne, tant admiré.

Devenu ami avec Samuel Beckett, Charles Juliet décide de ne plus retourner le voir : « Cette œuvre avait sur moi un pouvoir mortifère et j’ai compris qu’il valait mieux que je m’en détourne… »

Ecrire pour retourner l’exil intérieur en chemin spirituel menant à une libération.

« L’important, affirme-t-il, c’est de parvenir à une personnalité anonyme. »

Avis aux influenceurs et autres Instagrameurs : « Plus on s’efface et mieux c’est… »

Et cette si belle énigme de l’inspiration (s’identifier à l’Etre) : « Un texte bref peut m’être littéralement dicté. Parfois, je suis réveillé la nuit par cette voix qui parle en moi et qui peut me dicter un texte auquel je n’ai rien à reprendre… » 

Charles Juliet en son parcours, rencontre avec Rodolphe Barry, Médiapop Editions, 2024, 152 pages

https://mediapop-editions.fr/catalogue/charles-juliet-en-son-parcours/

https://www.leslibraires.fr/livre/23857051-charles-juliet-en-son-parcours-rencontre-avec-rodolphe-bar-rodolphe-barry-charles-juliet-mediapop?affiliate=intervalle

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Avatar de Inconnu Marie Gillet dit :

    J’aime beaucoup votre article, vraiment. C’est un bel hommage à cet immense écrivain qu’était Charles Juliet. Il comptait beaucoup pour moi.

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  2. Avatar de Quoiraud Christine Quoiraud Christine dit :

    Merci Fabien Ribery; vous nous offrez toujours de si belles pages!

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