Où sont donc les vivants ? par Egon Schiele, peintre

Gerti Schiele par son frère Egon Schiele

« Enfant éternel que je suis – j’ai toujours suivi la voie des gens ardents sans vouloir être en eux, je disais – je parlais et ne parlais pas, l’écoutais et voulais les entendre fort, plus fort encore et regarder en eux. » (Egon Schiele)

La peinture d’Egon Schiele (1890-1918) est cri, vérité antibourgeoise, chairs exaltées et flétries, grâce, séduction, guerre, misère, jouissance.

Un très beau volume publié par les éditions Agone, Je peins la lumière qui vient de tous les corps, nous le rappelle avec force.

Composé de poèmes et de lettres accompagnés de dessins, cet ouvrage témoigne du génie d’un artiste mort à 28 ans de la grippe espagnole, à peine six mois après le décès de sa compagne enceinte atteinte du même mal.

Manquer d’argent, mais tout offrir ; croire en la valeur absolue de l’art, être orgueil et noblesse, contre tous les tièdes, les calculateurs, les hypocrites.

Que sait-on de lui ? Très peu de choses.

Il reste plus de trois cents huiles, deux mille cinq cents dessins, quelque deux mille documents, débrouillez-vous.

Artiste de la faim, Schiele provoque, demande de l’argent, jette une lumière crue sur les corps, souvent nus, de sa sœur Gerti, des prolétaires, des couples enlacés.

En préface, Iris Delhoum le cite : « Je suis pour moi et pour tous ceux auxquels mon irrépressible soif de liberté prodigue tout, et aussi pour tous les autres. »

Incarcéré pour immoralité – vingt-quatre jours de prison qui l’épuisent -, Egon Schiele refuse le patriotisme lénifiant, célèbre la France de la liberté, refuse de participer au mensonge généralisé.

En 1909, il écrit dans le manifeste L’art nouveau et l’artiste nouveau : « L’artiste doit être : le plus noble d’entre les nobles ; d’être ceux qui rendent, celui qui rend le plus. Il doit être humain plus que tout autre, et il doit aimer la mort, et la vie. / Les sensations les plus hautes sont la religion et l’art. La nature est utilitaire. Mais c’est là qu’est Dieu. L’artiste doit le ressentir, fort, le plus fortement possible. »

Schiele perce la carapace sociale, s’expose, traverse des périodes d’abattement, voit au-delà de la marionnette où nous nous réfugions.  

« A grande enjambées, avec des yeux rouges de méchanceté / je parcourais les routes détrempées. » / « Je suis un être humain, j’aime la mort et j’aime la vie. » / « J’aime les contraires / J’endurerai volontiers pour mon art et pour ceux que j’aime / Mon errance conduit par-delà les abîmes » / « j’ai connu beaucoup d’expériences, construit, j’ai sans cesse lutté contre le « commerce » de l’art. Je suis heureux d’avoir acquis un niveau important de dureté. » / « Qui n’est pas assoiffé d’art est proche de sa dégénérescence. » / « L’œuvre d’art n’est pas monnayable, on peut l’acquérir. » / « Je suis content qu’il y ait si peu de monde qui détecte l’art. Cela indique encore et toujours son caractère divin. » / « Une seule œuvre d’art « vivante » suffit à rendre un artiste immortel. / Le artistes sont si riches qu’ils doivent faire cadeau d’eux-mêmes. / L’art ne peut être appliqué. / Mes tableaux doivent être placés dans des édifices comme des temples. »  

Il y a du Héliogabale chez lui, du Artaud, du Rimbaud, de l’irréductible.

Vivant, unique, énergie du Verbe.  

Texte Le portrait de la jeune fille pâle et muette : « Une pollution de mon amour – Oui. J’aimais tout. La jeune fille est venue, j’ai trouvé son visage, son inconscient, ses mains d’ouvrière ; j’aimais tout en elle. Il fallait que je la représente à cause de son regard et de sa proximité avec moi. – A présent, elle est partie. A présent je rencontre son corps. »

Lettre à Leopold Czihaczek, daté de septembre 1911 : « L’œuvre d’art érotique possède elle aussi un caractère sacré ! / J’arriverai à un point où l’on sera effrayé par la grandeur de chacune de mes œuvres vivantes. » 

Egon Schiele, Je peins la lumière qui vient de tous les corps, traduit de l’allemand par Henri Christophe, préface Iris Delhoum, édition établie par Laure Mistral, éditions Agone (Marseille), 2024, 126 pages

https://agone.org/auteur/egon_schiele/

https://www.leslibraires.fr/livre/23431287-je-peins-la-lumiere-qui-vient-de-tous-les-corps-egon-schiel-agone-editeur?affiliate=intervalle

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. 1914-2005, l’humanité de Schiele refait surface de manière inattendue.

    Ses tournesols inspirés par ceux de Van Gogh sont retrouvés chez un ouvrier chimiste à Mulhouse.

    Quatre ans avant sa mort il avait peint cette toile pour parler de l’humanité et de ses états. Un bouquet atrophié et tortueux mais qui au travers du monde végétal démontre les forces de la nature, malgré tout ce qu’elle a d’épreuves à affronter et franchir.

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  2. 1914-2005, l’humanité de Schiele refait surface de manière inattendue.

    Ses tournesols inspirés par ceux de Van Gogh sont retrouvés chez un ouvrier chimiste à Mulhouse.

    Quatre ans avant sa mort il avait peint cette toile pour parler de l’humanité et de ses états. Un bouquet atrophié et tortueux mais qui au travers du monde végétal démontre les forces de la nature, malgré tout ce qu’elle a d’épreuves à affronter et franchir.

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