Le cante jondo du collodion humide, par Pierre Dupin, photographe

Rocio Luna ©Pierre Dupin

« Je regarde une image contemporaine qui présente tous les signes d’une image datant des débuts de la photographie : le ruissellement de la lumière, l’extraordinaire nuancier entre le noir et le blanc, ou plutôt entre l’obscur et le lumineux, entre ce qui absorbe et ce qui renvoie la lumière, je regarde le portrait d’un homme que l’image m’empêche de situer dans une époque, dans un temps, dans un espace. » (Nicole Caligaris)

Pierre Dupin photographie les gitans au collodion humide.

Cette technique ancienne d’émulsion sur verre va bien aux visages si lointains de ce peuple fier, se distinguant par sa noblesse et son indocilité des humanoïdes rationnels contemporains ayant généralement troqué le feu des mystères pour la froideur des calculs auxquels leur vie se soumet.

Dans la collection Les petites allées, dirigée par Serge Airoldi, paraissent conjointement, à l’occasion du 36^e festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan, les textes que Nicole Caligaris et François Garcia ont imaginés à partir de deux photographies de Pierre Dupin, Cinq ou six secondes, et Les yeux d’Esperanza.

Tomatito apparaît – texte Cinq ou six secondes -, c’est un chef indien, un poète uruguayen, un paysan breton brûlé par le soleil traversant les embruns.

Mais, ce visage n’est pas que celui d’un homme, c’est une allégorie du flamenco, et d’une musique où le silence – précédant le chant, lui succédant ou feignant de l’interrompre – est encore un cri.

Le guitariste Tomatito est là, immobile, témoignant face à Pierre Dupin de l’immémorial de son art.

Avec lui se présentent ses frères et sœurs, ses parents et enfants, une caravane du XIXe siècle, des migrations, puis l’installation en Andalousie, sous l’œil ardent d’un soleil délicieux et infernal.

Tomatito est un virtuose, un maître, une énigme.

« La photo que je regarde, écrit avec justesse Nicole Caligaris, n’est pas un résultat, c’est un événement. »

Par sa capacité à créer l’onirisme et la sensation d’une lumière intérieure, l’ambrotype est en soi du temps déplié, du langage fondamental, une érotique.

Ainsi surgit le visage d’outre-tombe de la chanteuse Esperanza Fernandez regardé intensément par François Garcia alors qu’elle porte encore le deuil de son père, également artiste de flamenco renommé, récemment décédé.

« Les clichés de Pierre Dupin et la copla à un moment se rejoignent, écrit l’auteur de Federico ! Federico ! (Verdier, 2012), la convergence est là, l’illustration de ce qui ne peut se dire flotte dans le mystère. »

L’éclat du tragique.

La peine.

Le courage.

La grâce.

Pierre Dupin ne photographie pas, il chante.

« Au croisement des cultures originelles, semé de reflets orientaux, de brumes mauresques, continue François Garcia, le cante jondo est monté jusqu’à nous, délivré par ceux qui au fond d’une cour, à la table d’une cuisine, dans une cave, lieux de l’intimité, sont les vrais porteurs de ce feu, seigneurs choisis de ce monde où les signes sont distincts, où les rythmes et les mœurs redistribuent le rang, établissent les hiérarchies. »

Olé !

Nicole Caligaris, Cinq ou six secondes, photographie de Pierre Dupin, Les petites allées, 2025 – 250 exemplaires numérotés

https://www.lespetitesallees.fr/edition/les-collections/cinq-ou-six-secondes-1/

François Garcia, Les yeux d’Esperanza, photographie de Pierre Dupin, Les petites allées, 2025 – 250 exemplaires numérotés

https://www.lespetitesallees.fr/edition/les-collections/les-yeux-d-esperanza/

Une exposition intitulée Visages immémoriaux est programmée à l’occasion de la 36^e édition du festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan ayant lieu du 30 juin au 5 juillet 2025