Aux bords de l’apparition, par Alain Willaume, photographe, et Gérard Haller, écrivain

©Alain Willaume / Tendance Floue

Alain Willaume est le photographe des failles, des intermondes, des espaces parcourus de forces sismiques.

Son art est pratique de révélation, façon de mettre à jour, tel un sourcier, les flux énergétiques ne cessant d’informer et déformer la matière.

Pour le comprendre, il faut probablement être poète comme Gérard Haller, c’est-à-dire capable de composer avec le tremblement des mots et des sensations.

©Alain Willaume / Tendance Floue

Face’s End, publié par L’Atelier contemporain (Strasbourg), est ainsi un recueil où les poèmes tentent d’approcher en intensité de vision les photographies reproduites en regard.

C’est d’abord un volcan indonésien entré en éruption, et cet introït faisant songer au Paradis de Philippe Sollers : « lumière, lumière ! – éclats finis de la lumière – »

Puis des traces dans la poussière : « tout le paysage, coupé en deux on dirait et gisant de part et d’autre de l’horizon »

©Alain Willaume / Tendance Floue

L’escalier d’une sorte de ziggourat : « on voudrait rester pour toujours dans l’abri de la lumière »

Un avion paraît en perdition, « captif lui aussi de la nuit et condamné, comme nous, à passer seulement et périr et retomber en poussière »

Les dieux sont morts, mais il y a ces fumées, ces fumeroles, ces vapeurs oraculaires.

Alain Willaume photographie des confins, des frontières, des gouffres, une humanité toujours au bord de l’anéantissement.

« au bout du monde comme au bout de soi », un homme prie, Tibétain en exil, comme là-bas, dans une nudité de territoire, quelqu’un lance des traits de lumière dans la nuit.

On veille ensemble, ou seul, et voici le début d’Hamlet, de Shakespeare : « Qui est là ? »

Depuis longtemps, Alain Willaume photographie des visages dissimulés, se protégeant de la pollution, ou d’autres dangers.

©Alain Willaume / Tendance Floue

Son œuvre s’élabore ainsi de la clarté mystérieuse à l’alarme, c’est un bébé qui hurle, un enfant défiguré, un monstre (Land’s End, Cornouailles, 1991).

Devant cette image dont le cadre est une paroi calfeutrée de laquelle aucun son ne sort, Gérard Haller pense à Antonin Artaud : le visage humain porte une espèce de mort perpétuelle sur son visage.

Cette bouche asphyxiée, qu’étudie le poète relisant Pierre Fédida, Jacques Derrida, Maurice Blanchot, Gilles Deleuze et autres voyants (liste et citations en fin de volume), c’est celle de Francesca Woodman se noyant, ou d’une créature de Francis Bacon criant depuis l’abîme.

On tente de faire bonne figure, mais nous sommes d’abord l’infigurable, puis, soudain, dans le souffle méphitique de l’Histoire, des cendres pelletées depuis un four crématoire, un peu de soudre sûrement jetée sur la terre maudite.

©Alain Willaume / Tendance Floue

Christ meurt, côtes brisées, s’étouffe comme Georges Floyd le 25 mai 2020 à Minneapolis (lire Respire, de Marielle Macé) suppliant : please, please, please.

Dans Nous qui apparaissons, publié conjointement, Gérard Haller écrit : « et tout est si plein / maintenant de morts sans / nous partout sur la terre / qui reviennent dans nous / suffoquer / regarde / à même nos souffles / réclamer l’abri d’un / cœur ami un temps / et l’infini battement / de l’air et la fin des tu / /eries etc. regarde tu es toi- / même si mort déjà depuis le premier frère tué »

Gérard Haller et Alain Willaume ? Deux poètes ne se racontant pas d’histoire, tentant depuis le silence et la solitude qui les constituent de dire et photographier l’abandon, l’état de guerre intérieure, la grâce peut-être.

Quelquefois.