© Gerard Rondeau
Il faut imaginer le dernier livre de Marcelin Pleynet, Le retour (roman), comme une amphore contenant un vin doux, et dont l’auteur aurait malicieusement pris plaisir à casser les bras.
Ponts rompus, vous voici sur une île parmi les dieux et les éphémères.
L’argument tient en quelques mots, aucun bavardage : un écrivain vivant à Venise cherche la vie libre, la trouve, pourrait la perdre, parvient finalement à se dégager, brutalement, des humains suffrages qui volent selon.
C’est toujours la même affaire : le diabolique s’avance vers vous sous les atours de l’innocence (ici la découverte tardive d’un grand fils, cultivé, irréprochable), vous devenez sentimental, vous êtes foutu.
Il faut alors très vite revenir aux fondamentaux : la volupté dans l’instant, la musique des sphères (Monteverdi), l’incarnation en peinture (Titien), la solitude comme ouverture.
Incipit : « Là où c’était, je suis revenu… »
Folies vénitiennes, comme il y a des folies françaises et des embarquements pour Cythère qui sont des traversées de la mort.
Des paragraphes généralement courts entraînent la lecture, limpides, simplissimes, mystérieux : ce sont des versets.
On trouvera dans ce livre des réflexions sur Rimbaud lecteur d’Eschyle, Baudelaire traducteur de Poe (double savoir sur le mal), la Chine – un fameux voyage en 1974, renseignez-vous – et, l’air de rien, Stendhal (for the happy few), le catholicisme vénitien, l’ordre, la logique et les chœurs célestes.
Un homme se libère, réapprend à s’augmenter après avoir frôlé la mort (la glu sociale, les familles, un AVC redoutable), envisage l’écriture comme une bénédiction, un don, mais aussi un tranchoir.
Peu de pages, beaucoup de points de suspension, de blancs, le vide est créateur.
Heidegger page 73 : « Le potier, qui sur son tour façonne les flancs et le fond, ne fabrique pas à proprement parler la cruche. Il donne seulement forme à l’argile. Que dis-je ? Il donne forme au vide. C’est pour le vide, c’est en lui et à partir de lui qu’il façonne l’argile pour en faire une chose qui a forme. »
Soit un livre qui passera probablement inaperçu, et qui pourtant accueille le plus précieux – une connaissance du temps comme une nage souple dans l’espace.
« C’est à peine si on a changé l’eau… »
Marcelin Pleynet, Le retour, Gallimard, L’infini, 2016, 96p
Lire aussi dans le numéro 133 (automne 2015) de la revue L’Infini (Gallimard) le long entretien que m’a accordé Marcelin Pleynet
Remerciement amical au photographe Gérard Rondeau pour son regard sur Venise, et sa générosité
Vous pouvez aussi me retrouvez sur le site de la revue indépendante Le Poulailler