A la recherche du texte insoluble – Parages, naissance d’une revue théâtrale

2015-stanislas-nordey-dans-repetition-de-pascal-rambert-jean-louis-fernandez-001
Stanislas Nordey, dans Répétition, de Pascal Rambert – 2015

Sur le front assez déserté de la critique théâtrale de qualité, la parution du premier numéro de Parages, revue concoctée par le Théâtre National de Strasbourg (TNS – direction Stanislas Nordey) est une excellente nouvelle.

Le théâtre est cet espace propice à l’accueil des fantômes, verbe vibrant fait chair flottante incarnée, ayant besoin, pour s’épanouir, de notre fidélité – ce qui s’appelle savoir hériter pour parvenir à réinventer.

Commençant avec une grande élégance par un hommage de Laurent Gaudé au romancier et dramaturge Emmanuel Darley (1963-2016), le sommaire de cette publication inaugurale est un enthousiasmant festival, qu’il s’agisse, parmi quelques entrées, d’une lettre de Christophe Pellet à l’impériale Dominique Reymond accompagnée de très beaux photogrammes faisant penser à des plans du film Dans la ville de Sylvia, du Catalan José Luis Guérin, d’un entretien entre l’auteur David Lescot et le professeur Olivier Neveux (Lyon-2), d’un beau et long portrait du dramaturge Philippe Malone en son expérience africaine par Lancelot Hamelin – qui signe aussi un article, bien illustré, sur « l’écrivain de plateau » Philippe Quesne –, ou d’un texte de Sylvain Diaz sur le blog (Petit oiseau de révolution) de l’auteure Mariette Navarro s’insurgeant contre un milieu théâtral ne lisant pas assez, voire pas du tout.

Ayant pour ambition de retrouver le goût du texte (Stanislas Nordey) et d’ouvrir ses colonnes aux auteurs contemporains (Frédéric Vossier, directeur éditorial), Parages est à l’instar de l’éphémère et passionnante revue lilloise (La Métaphore), qu’imagina Daniel Mesguich lorsqu’il dirigeait le CDN de la capitale des Flandres, un espace de réflexion, faisant du théâtre une double force de méditation et de proposition au cœur de la cité. Le nom d’Antoine Vitez revient ici comme une arche d’alliance, de même que ceux de Jacques Derrida (stratégie des parenthèses et hospitalité inconditionnelle) et de son ami, nous sommes à Strasbourg, pointe avancée de la dissémination, Jean-Luc Nancy.

2015-stanislas-nordey-dans-repetition-de-pascal-rambert-jean-louis-fernandez-002
Répétition, de Pascal Rambert – 2015

Conserver, converser, transformer, rechercher, imaginer un nouveau théâtre public, participent de la volonté d’un comité éditorial conçu comme un laboratoire de déterritorialisation et d’écritures plurielles (Mohamed El Khatib, Claudine Galéa, Joëlle Gayot, Lancelot Hamelin, Bérénice Hamidi-Kim, David Lescot).

Quand une toile de Giorgio Morandi devient un tableau d’Alexandre Hollan qui se mue en un jeu de lumières de Marie-Christine Soma décrit dans une conversation avec Claudine Galéa, auteure associée au TNS, nous sommes dans les parages de la véritable création.

Un théâtre qui ne serait pas d’art et populaire, c’est-à-dire savant, inconfortable et fraternel, manquerait sa mission fondamentale d’émancipation et de retrouvailles savoureuses entre les vivants et les morts.

20162017_ecole_camilledagen1_fernandezjeanlouis_033
Ecole de théâtre du TNS

Le contemporain est la capacité à voir les faisceaux d’ombres au cœur du présent aveuglé. On n’en attend pas moins du théâtre aujourd’hui.

Un « pessimisme joyeux » (Thomas Depryck) donc.

Ou : « J’espère que tu ne perds pas courage. A bientôt, j’espère » – lettre de Didier-Georges Gabily à Jean-Luc Lagarce datée du 3 août 1994.

Par délicatesse / J’ai perdu ma vie. / Ah ! que le temps vienne / où les cœurs s’éprennent.

Armand Gatti ? Oui.

Arthur Rimbaud ? Oui.

parages-tns

Parages, numéro 1, revue du Théâtre National de Strasbourg, 2016, 182p

Aller au TNS

visuel-saison-16-17-valerie-dreville-jean-louis-fernandez

Laisser un commentaire