Publié à l’occasion de l’exposition Henri Michaux à la Bibliotheca Wittockiana (Bruxelles, 2 mars – 12 juin 2016), et au Centre Wallonie-Bruxelles (Paris, 22 février – 21 mai 2017), Face à face est un ouvrage conçu par Jacques Carion et Jean-Luc Outers (commissaires) superbement édité.
En 1954, dans Face aux verrous, Henri Michaux (1899-1984) écrit : « A huit ans, je rêvais encore d’être agréé comme plante. »
Refusant l’assignation à résidence identitaire, Henri Michaux fut un homme dont l’effacement, avant d’être un projet littéraire et social, était une évidence intime.
La grève, la passivité/passage, l’arrêt, l’absence, furent ainsi des états d’être plus que des décisions ou des programme esthético-existentiels.
Biographie 1900 – 1906 : « Indifférence. Inappétence. Résistance. »
A Robert Bréchon, le 3 juillet 1958 : « Il n’y aura pas de photo de moi, ni seul ni en groupe […]. Mes livres montrent une vie intérieure. Je suis, depuis que j’existe, contre l’aspect extérieur, contre ces photos appelées justement pellicules, qui prennent la pellicule de tout. »
Le portrait que fit de lui Claude Cahun en 1924 pourrait s’intituler Qui je fus. On voit un homme, mais il s’agit peut-être d’une amibe en costume noir.
La nuit remue de têtes hagardes, égarées au possible.
Henri Michaux voyagea intensément (géographie/drogues) pour échapper à son visage, retrouvé/réinventé malgré lui dans une pratique graphique de nature compulsive.
« Quand je commence à étendre de la peinture sur la toile, il apparaît d’habitude une tête monstrueuse… Devant moi, comme si elle n’était pas à moi […] nourrie d’elle-même, de mon immense chagrin plutôt… » (Peintures, 1939)
Des biffures et frottages naissent des êtres furieux et grotesques, énormes, dérisoires et sans modestie.
Ce sont des grimaces, des souffrances, des yeux crevés, des épouvantes, des ravages, des éparpillements d’énigmes.
Ecrivant sur des œuvres de Roberto Matta, Paul Klee, Zao Wou-Ki, Joseph Sima, Henri Michaux repère au cœur de chaque vision, de chaque composition, des gesticulations de marionnettes.
Ça se tord, se contorsionne, se dresse en tremblotant, tels des clowns cherchant à prendre possession de la page ou de la toile.
Ça brûle sans se consumer, ça fait le pitre et ça se fout de nous, comme les esprits de notre adolescence lorsque nous parvenions enfin à les faire parler lors de mémorables séances de tables tournantes.
Qui es-tu toi ? Mathusalem. Et toi ? Sa sœur. Et toi ? Donald Duck. Tu nous prends pour des imbéciles ? Oui.
Ponctué de documents et d’œuvres superbes (eaux fortes, photographies, couvertures de livres, pages manuscrites, gouaches, aquarelles, huiles, dessins mescaliniens), Face à face ravira quiconque comprend que l’infini turbulent, loin d’être bizarrerie d’artiste angoissé, est surtout condition première d’existence.
Dans le très beau texte concluant l’ouvrage (publié une première fois dans le numéro 130 de la revue L’Infini, hiver 2015), Jean-Luc Outers rappelle la drôle de formule que contenait son testament : « J’exhérède tous les membres de ma famille. »
La conclusion de la conclusion est un rai de lumière : « Ne me laissez pas mort, parce que les journaux auront annoncé que je n’y suis plus… Je compte sur toi, lecteur, sur toi qui vas me lire, quelque jour, sur toi lectrice. Ne me laisse pas seul avec les morts comme un soldat sur le front. »
Henri Michaux, Face à face, textes, peintures et dessins réunis et commentés par Jacques Carion et Jean-Luc Outers, éditions La Lettre volée – Bibliotheca Wittockiana, 2016, 158p
Henri Michaux, Face à face, exposition au centre Wallonie-Bruxelles (Paris) – du 22 février au 21 mai 2017
Acheter Face à Face sur le site leslibraires.fr