Chloé Beaulac, la guérisseuse

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Chloé Beaulac est une artiste canadienne multidisciplinaire.

S’intéressant à la place de l’humain dans la nature et dans l’histoire, son travail, notamment photographique, interroge la façon dont l’homme a pu s’approprier, de façon rituelle, magique ou mythique, son environnement.

Reconnue et soutenue dans son pays natal, elle est actuellement en résidence au Centre Sagamie, important centre d’art situé au Québec.

J’ai souhaité lui donner la parole, afin de faire entendre la richesse de ses réflexions concernant ce qui relève des constructions identitaires, envisagées comme systèmes de symboles, de récits et d’actes singuliers.

L’un de ses derniers projets, Lieu saint, est une « pop-fiction spirituelle et surnaturelle », à propos de lieux qui sont pour elle porteurs de paix.

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Vous avez bénéficié d’une résidence au Centre Art Actuel Sagamie situé à Alma, Québec (Canada). Pouvez-vous présenter aux lecteurs français ce centre d’art ? Quelles en sont les missions ?

La vocation du Centre Sagamie est de soutenir les artistes dans la création de leurs œuvres, littéraires ou artistiques. Ce lieu se spécialise dans l’art imprimé. Il est animé par une équipe dynamique et passionnée, qui travaille avec des artistes de la communauté artistique régionale et internationale. Leur programme de résidence est l’un des plus intéressants au Québec, pour l’immersion dans un environnement de travail axé sur l’exploration des arts imprimés et l’expérimentation. Sagamie, c’est aussi un lieu de diffusion où sont présentées des expositions.

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Comment y avez-vous spécifiquement travaillé ?

Je fais une sélection d’images à partir de documentations photographiques de mes explorations. J’ai travaillé avec l’équipe de Sagamie sur du photomontage et nousa avons fait des tests d’impression numérique pour un de mes projets.

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Qu’est-ce que le projet « Lieu saint », que vous montrerez au Musée Acadien de la Gaspésie en septembre 2017 ?

Les oeuvres qui seront présentées au Musée Acadien de la Gaspésie sont  issues de mes recherches et explorations sur divers territoires. Lieu saint est un essai visuel des rituels exploitant des symboles reliés à l’imaginaire des sanctuaires, des cérémonies, des pratiques culturelles, des mythologies, des passages, du mysticisme, du pèlerinage et des lieux de paix, ainsi que des éléments et sujets qui les habitent. Mes oeuvres illustrent le désir de se rapprocher de la quiétude, par le recueillement qu’inspirent les différents lieux visités. Je m’intéresse aux diverses pratiques et rituels de différentes communautés culturelles. Par un processus de déconstruction/reconstruction, j’aborde ces sujets par le biais de photographie et par le contexte contemporain qui y est relié. Cette approche est ainsi toujours recherchée dans une ambiance proche du rêve et dans un environnement qui devient familier pour tous.

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Vous voyagez beaucoup pour mener à bien votre travail artistique. Vous sentez-vous nomade ?

Il y a une grande part de mon travail qui est dirigée par la découverte et l’exploration du territoire. Il est nécessaire pour moi de voyager beaucoup pour voir, dessiner, noter, partager et bien traduire ces environnements. Il faut parfois que je retourne plusieurs fois à un certain endroit, faute de lumière, de température, d’obstacle naturelle. Cela fait partie de l’expérience. Une partie de mon travail s’inspire des habitacles temporaires et de diverses formes de vestiges. Il y a dans mes oeuvres un témoignage d’une culture nomade, et par celles-ci, des caractéristiques de ces constructions qui démontrent un savoir-faire propre à une culture et à une période données. Je trouve important de travailler à partir de mes documentations photographiques de lieux venant de partout à travers le monde, car chaque culture a ses particularités. Chaque vestige est donc unique mais semblable à la fois.

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Par moment, je me sens un peu nomade, tout en étant profondément ancrée dans mes valeurs et lieux qui me sont chers.  Ma quête est plutôt de découvrir, d’analyser, puis de traduire en fictions mes explorations. Mais comme le nomade, je partage cette quête pour des lieux où nous pouvons vivre bien.

Le domaine esthétique est étroitement relié chez vous au domaine écologique/spirituel. Est-il aussi de l’ordre d’une proposition politique ?

L’esthétique de mes œuvres repose sur des questionnements philosophiques et sociaux. À force de voyager et d’explorer, il est impossible de nier que toutes les religions et toutes les cultures ont un fondement similaire. C’est cette proximité à la terre, à la nature, à l’être qui m’intéresse, et que je propose dans mon travail. Quant à la spiritualité, dès qu’on aborde le sujet de la vie ou de la mort, on pense à l’humain et à sa relation avec une divinité. Dans mon travail, c’est plutôt la quête du sens. Je m’intéresse à la relation que l’homme entretient avec la nature et sa nature pour avoir une meilleure compréhension de soi et du monde. En quelque sorte, nous, les artistes, proposons tous une vision du monde. Pour ma part, mes œuvres sont une forme de photoromans offrant des lieux qui engagent la réflexion et le dialogue.

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Quelles techniques travaillez-vous ? La sérigraphie et la photographie sont présentes dans plusieurs séries.

La technique de mes créations est choisie en fonction du sujet, et de ma vision finale du projet. Je travaille donc principalement en photographie, en dessin, en sérigraphie, en peinture, en sculpture, en installation et, au besoin, j’apprends de nouvelles techniques en fonction du projet.

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L’art tel que vous le pratiquez relève-t-il chez vous d’une dimension thérapeutique ou chamanique ? Êtes-vous une guérisseuse ?

Haha ! Je ne crois pas être guérisseuse. Je crois plutôt que ma création permet un moment de réflexion. Les scènes que j’offre sont un temps d’arrêt pour se questionner sur sa propre vie, sa quête personnelle et un retour à sa nature. L’aspect chamanique apparaît naturellement dans mes œuvres car ce qui m’est incompris m’obsède et me fascine. Donc, la création me permet de comprendre. En quelque sorte, je suis probablement ma propre guérisseuse.

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Quel est votre rapport à l’animalité ?

Dans mon travail, il existe toujours un rapport entre l’homme, la nature, et la nature de l’homme. La représentation d’une certaine animalité dans mes travaux varie selon les espaces et l’ambiance globale des oeuvres. Il y a toujours la présence qui est liée à une représentation historique de l’utilisation des animaux en tant qu’icônes, représentations politiques ou de déités tels qu’on les retrouve en Égypte, en Inde et dans diverses cultures et pays du monde. L’animal dans mon travail est un symbole, il a donc une forte signification. Mon travail est pour une grande part en lien direct avec une pensée et une analyse sémiotiques.

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Quel commerce entretenez-vous avec les morts ?

Je me questionne sur les passages terrestres que l’humain se crée pour se rapprocher de l’au-delà. Je suis intrigué par la construction de lieux et l’architecture qui accueille les processus de deuil, de prières, de dévotion, de repos les processions et les cérémonies. Dans toutes les cultures, et toutes les religions de hier à aujourd’hui, l’humain se construit un idéal de vie en organisant son rapport à la mort. Je m’intéresse aux divers rituels pratiqués à travers le monde, et les représentent dans ces lieux. Souvent, quand je découvre de nouveau lieux, j’ai cette impression de me rapprocher du sublime. Et c’est ce moment que je tente de construire pour qu’il incarne un passage vers l’au-delà.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Site de Chloé Beaulac

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Centre Sagamie

 

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