Dans un essai magistral, L’Axe du Néant, paru en 2003, le philosophe et romancier François Meyronnis a su exprimer comme personne avant lui l’esprit de la collection L’Infini (Gallimard), qui accueillait son texte : diagnostic du nihilisme en sa puissance de ravage planétaire, mais aussi pari sur la merveille, l’ivresse du rien, constituant l’envers d’une force noire transformant chacun en déchet, chaque idée en vulgarité, chaque beauté en impuissance.
Publié en 1973, De l’inconvénient d’être né, du démoniaque et très lucide Cioran, est de ces livres qui font du désespoir un tonique toxique, un horizon indépassable, une délectation morose, un poison sans remède. On peut y lire, entre autres réjouissances : « Si l’on pouvait se voir avec les yeux d’un autre, on disparaîtrait sur-le-champ. », « Un livre est un suicide différé. »
Aujourd’hui, Mathieu Terence (Chair philosophale, Le transhumanisme est un intégrisme, Le talisman), « clandestin dans l’époque », publie De l’avantage d’être en vie, et relève le défi d’une pensée affirmative, vitaliste, afin que le oui, spinoziste, nietzschéen, l’emporte sur la mort.
Fête, grande santé, et persistance dans l’être.
Sa méthode est celle d’Isidore Ducasse dans les deux volumes de Poésies : retourner avec rigueur et logique les propositions paraissant définitives, et entrevoir, sous la terreur, une puissance de joie.
Il est temps de quitter la malédiction comme légende douloureuse, et d’oser témoigner de la bénédiction d’être simplement et pleinement, dans la volupté de l’instant, en vie.
De l’avantage d’être en vie est ainsi mû par le désir de relire les Diaspsalmata de Kierkegaard (1843) en leur ôtant leur gangue de mélancolie, soit quatre-vingt-neuf fragments réécrits, prolongés, en envisageant « le négatif du négatif ».
« A écouter les esprits chagrins, tout serait insignifiant, l’amour une erreur réciproque la noblesse une imposture, la volupté un fastidieux moment de charcuterie, l’avenir du passé en pire. Selon eux, l’existence devrait débuter avec ressentiment et se terminer dans les regrets. Rien ne leur paraît plus incommodant que l’illuminé qui affirme aimer la vie, qui affirme la vie même. « Pour qui se prend-il celui-là ? » Tandis que le démoralisé délayant les inconvénients d’être né sera perçu comme un être émouvant de sensibilité et emportera leurs suffrages. »
Non au ressentiment, à la haine contre le passé et son « il était », à la jalousie perpétuelle, aux rivalités mimétiques, au manque, à l’ennui, qui est répétition de misère.
Oui à la fréquentation des grands vivants, « alliés substantiels », aux départs et à la clarté.
Oui à « l’élan vital », « la sieste », « le soleil du style », « la sédition par le sourire ».
Oui à Prince, Christophe, Stevie Wonder.
Oui à Walt Whitman, Paul Gauguin, Arthur Rimbaud, Pablo Picasso, Henry Purcell.
La poésie est sauvegarde, agrandissement, mémoire, énergie, prouvez-le par votre vie !
Refusant les miasmes de la nostalgie, Mathieu Terence écrit au présent perpétuel, célébrant, contre les séductions de Pathos-Thanatos, l’union d’Eros, d’Apollon et de Dionysos, ces volcans : « Les dieux, les hommes, les héros, les bêtes, les plantes et les minéraux aiment la même dimension. L’enfance du monde se perfectionne sans cesse. Nous y sommes. »
La mort ? « Elle n’a pas d’intérêt. », bien au contraire de la nuance, des mouvements souples, des correspondances, des rites de fécondité, des variations d’intensité, et de l’abandon de la montre au profit du temps mythique.
Les faveurs, la traversée de l’enfer (pas plus d’une saison), le fabuleux opéra contre le chagrin obligatoire.
L’impertinence : « « Ma tristesse est mon château », déclare Kierkegaard. En ce qui me concerne, idiot du village, ma joie est mon feu de camp. », « La « philosophie du ouin-ouin », c’est la défaite en karaokant. », « L’ennui est un signe extérieur de sécheresse. »
Rome et Délos, Lucrèce et Hésiode ensemble.
Le stoïcisme – « J’accepte ce qui relève de la fatalité et fais de mon mieux pour déjouer ce qui n’en relève pas. » – et l’art d’aimer d’Ovide : « X. collectionne les amours sans lendemain, j’aime l’amour sans précédent. La première partie de ma vie, j’ai appris à aimer. La seconde, j’apprends à être aimé : pas trop tard bien sûr, mais pas trop tôt non plus. »
Manuel de survie en eau trouble (présence de piranhas), guide spirituel (repartir de la sensation du souffle), De l’avantage d’être en vie est une apologie de la richesse, disponible, surprésente, éclatante, musicale, invitant à envoyer valser sans tarder « le conditionnement mélancolique ».
« Ecoutons le brouhaha qui tait l’essentiel et commençons à penser à partir d’idées qui n’existent pas en français : le duende, l’aloha, le farniente, le kairos, le cool, la vista, le satori. »
Vous connaissez un meilleur non-programme ?
Mathieu Terence, De l’avantage d’être en vie, collection L’Infini, Gallimard, 2017, 110p
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