Carnet de marche 2015/2016, d’Eric Bourret, est le troisième livre du photographe errant aux éditions Arnaud Bizalion (Marseille), après Et l’espace fera de moi un être humain (photographies, 2005-2015) et Dans la gueule de l’espace.
Les paysages du photographe-arpenteur sont des méditations intérieures.
L’espace du dehors rencontre les territoires du dedans en des poèmes visuels où les lignes de force des montagnes traversées, arêtes, crêtes, empreintes diverses, sont des hiéroglyphes indéchiffrables pour qui n’abandonne pas toute prétention de maîtrise.
L’éphémère rencontre l’intemporel, dans l’érosion des certitudes, et le déploiement d’un temps compact, surimpressions de vérités données en une seule fois et bientôt disparaissant.
Jetant son corps dans l’espace, le marcheur rencontre le temps.
La minéralité paraît construite d’immuable, mais c’est un leurre, quand progressent sous la glace et dans les bois des puissances de destruction.
La brume efface toute trace.
La gaze est lourde, posée sur le visage.
On respire mal.
Apparaissent au loin quelques hommes faits de cristaux, des oiseaux de pierre guettant notre chute.
Le cubisme n’est pas une invention de peintre, mais de la nature en ses glissements de plans, son feuilleté d’origines, ses coulées de glaces qui sont des baves menaçant le Wanderer.
Le sublime est ici l’une des modalités de la terreur.
Tracée au graphite, l’âme est un entrelacement de noirs.
Invité par le musée Dauphinois à découvrir les montagnes situées en Belledonne, Dévoluy, Oisans et Vercors, Eric Bourret a passé plusieurs saisons (automne 2015/printemps 2016) dans ces massifs impressionnants de l’Isère, et les a photographiés comme on vit une expérience sensorielle au contact d’une matière aussi monumentale que flottante.
Espace mental, la montagne telle que la perçoit le photographe, est un corps abstrait, puissant, où les gestes du marcheur lèvent des pensées secrètes, écrites dans un langage inconnu.
Il y a d’étranges traces dans la neige, vestiges de civilisations aussitôt découvertes que détruites, des restes d’être blancs sur la terre gelée, qui provoquent un profond sentiment de mélancolie.
Il y a dans les plis et les déplis des vals d’altitude des arbres enfouis, des forêts gravées, qui sont des esquisses vertigineuses.
Le pied incise l’espace, que la main recompose quand elle porte à l’œil le métal de l’appareil photographique glacé.
Eric Bourret le nomade pénètre d’un pas assuré dans une sensation de monde premier où la raison s’affole lorsque le regard se perd dans l’étendue.
On devine une présence humaine, mais c’est peut-être déjà le signe de notre mort.
Eric Bourret, Carnet de marche, 2015/2016, Belledonne – Dévoluy – Oisans – Vercors, textes en français et anglais de Chantal Spillemaecker, Elisabeth Chambon, Pierre Padovani, Olivier Cogne, éditions Arnaud Bizalion, 2017 – 138 photographies
www.documentsdartistes.org/bourret
Exposition au Musée Dauphinois (Grenoble) – du 24 mars au 15 octobre 2017

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