Tristan Felix est une drôle de paroissienne, poétesse mais aussi photographe, dessinatrice, marionnettiste, performeuse, conteuse, habitante de mondes étranges, activiste en langues belles et sauvages – elle a dirigé jusqu’en 2016 avec Philippe Blondeau La Passe, revue des langues poétiques.
Observatoire des extrémités du vivant, son seizième livre publié, est un triptyque célébrant, à travers le génie des grands irréguliers/vivants Tod Browning, Tadeusz Kantor, Pipo Delbono, Goya, celui des fœtus, monstres, morts et chats pendus peuplant son univers.
La première séquence de ce livre aux tonalités fantastiques intitulée « Fétus » (textes datant de 2004) se déroule au musée de l’Ecole Nationale Vétérinaire de Maisons-Alfort et au musée d’anatomie pathologique Dupuytren à Paris, où sont conservés dans du formol, tels « les repentirs utérins de nos peintures vivantes », des fœtus d’enfants et d’animaux avortés.

Les images prises par l’auteur font face au texte, montrant une « vie extrême », aquatique, gnomique, tératologique.
Ça flotte, ça se sent à l’étroit, ça joue à effrayer le carabin.
Tristan Félix : « Si vous voulez on vous présente / il y a un petit, là-bas / qui a toujours la langue dans sa poche »
Des choses ? Non, des rois burlesques.
De sinistres animalcules ? Non, des stars de comédie.
Des aveugles ? Non, des voyants.
Des simplets ? Non, des vieillards de souche.
Des mioches moches ? Oui, des mioches moches, et de premier choix.
« Faut pas claquer des dents comme ça / Oh, vous suez, pire qu’un veau gluant ! / Cette flaque au sol qui dessine / une algue à gueule de veuve noire / c’est juste un peu d’eau de vie »
Le deuxième volet de cet ensemble digne d’un cabinet de curiosité s’intitule « Levée des morts » (2008). La préciosité tranchante de la prose poétique « grouille ici de mort qui grouille de vie. »
Apparaissent en des scènes construites comme des tableaux grotesques, cruels, tendres, hilarants, des êtres hybrides, « chimères et bâtards ».
Page de droite, une phrase, un vers, comme un coup de langue, une vérité interrogative : « les seins de la morte battent de l’aile », « le loup ne fait pas dans la dentelle », « Cerbère, sac à putes », « les jeux à l’élastique sont interdits »
Dédié à Baudelaire, Perceval et Poussinette, le dernier pan de l’Observatoire de Tristan Felix (« Félidées noires ») est une chattomancie composée de quarante-trois quatrains d’octosyllabes avec acrostiches.
Noir d’Erèbe, un chat photographié comme de l’intérieur d’un rêve y joue à réinventer les cartes du tarot en ses diverses postures, ses affûts, ses bonds – pas de chabada du chacha sans dada.
« Si la queue du O te tient vif / Et ta gorge affolée de rage / X, multiple de zéro, tombe / Es-tu prêt pour un saut de lion ? »
Comprendre que, plumeuse d’âme, la poétesse ombellifère est aussi nochère.
Tristan Felix, Observatoire des extrémités du vivant (triptyque), préface de Hubert Haddad, éditions Tinbad, 2017, 170 pages