
Grâce soit une nouvelle fois rendue à Gilles Mora pour son travail de recherche et son ambition de passeur tel qu’en rend compte le Pavillon Populaire de Montpellier, lieu d’exposition dont il est le directeur artistique depuis 2011.
Il y montre actuellement, en collaboration avec Lisa McCarthy, conservateur aux archives des Arts documentaires de l’université de Duke (Caroline du Nord) et Margaret Sartor, écrivain et commissaire d’exposition, l’œuvre éblouissante d’un photographe très méconnu, car très solitaire, William Gedney (1932–1989).

Première rétrospective française consacrée à un travail mené sur trois décennies (1955-1984), cette exposition, qu’accompagne un catalogue publié par les éditions Hazan, fera date, tant y éclatent l’unité et la force du regard d’un artiste ayant exploré aussi bien le champ de la photographie de rue (à Brooklyn notamment), que les sujets ruraux (série The Farm), la photographie de nuit (entre Brassaï et Robert Adams), les mouvements hippies de San Francisco à la fin des années 1960, l’Inde, et les parades gays dans les années 1980.
Homme secret, exigeant et pudique, par contrainte sociale ou nécessité de sauvegarde intime, dont l’homosexualité ne fut révélée qu’à sa mort (il fut une des premières victimes du sida), William Gedney conçoit l’acte esthétique comme une pratique haptique, utilisant l’outil photographique pour toucher des yeux les corps masculins, notamment adolescents, qui le fascinent.
Il n’y eut pas chez Gedney de plan de carrière mené coûte que coûte pour qu’aboutisse enfin une reconnaissance institutionnelle, mais une volonté obstinée d’aller à la rencontre de son désir – en noir & blanc, et petit format – qu’il photographie les paysans du Kentucky (souvenirs des images prises par Walker Evans en Alabama en 1936), leur pauvreté (alcool, soleil, torses nus, ferrailles) et la simplicité rocailleuse de leur mode de vie (comment ne pas penser aussi à Dorothea Lange ?), New York comme un théâtre de mystères, de fantaisies et d’apparitions (les corps musculeux de culturistes, qui intéressent aussi Diane Arbus, présente sur une image).

Très souvent, le désir est palpable, le photographe ne s’excluant pas du sujet qu’il fixe, mais se situant à une distance autorisant la main, quelquefois, à caresser son visage, son dos ou sa poitrine.
Sous son œil, les Etats-Unis (1964-1972) sont un décor de film noir : les rues sont vides, et les maisons néo-classiques abritent peut-être de sombres crimes, ou des délices inavouables.
On s’embrasse près d’un juke-box, reprend une bière, chahute avec les filles.
A San Francisco, on sort les guitares, se coupe moins les cheveux, participe à des concerts, tandis qu’à Bénarès ou Calcutta, c’est la saison des pluies, et la grande confusion des rites et des corps.
Apparaissent les magnifiques fesses nues d’un athlète de parade.

William Gedney ferme les yeux, puis appuie sur le déclencheur pour l’embrasser.
Depuis le dépôt de ses archives complètes à l’université de Duke par ses amis Lee et Maria Friedlander (elle est son exécutrice testamentaire), la connaissance de l’œuvre du photographe américain, qui avait archivé avec grand soin son travail, progresse considérablement.
Il est désormais possible de lire ses multiples carnets et journaux – soixante mille documents consultables, dont des livres faits à la main, et trois mille tirages gélatino-argentiques prêts à être exposés.
William Gedney fut un grand amateur de littérature, et envisagea la photographie comme une écriture du désir.
Gilles Mora, William Gedney, Only the Lonely, 1955-1984, textes de Gilles Mora, Lisa McCarty et Margaret Sartor, éditions Hazan, 2017, 160 pages
Exposition William Gedney au Pavillon Populaire de Montpellier – du 28 juin au 17 septembre 2017
Le Pavillon Populaire de Montpellier
