Naître poète, devenir ouvrier, Paul Cézanne et Emile Zola, une correspondance

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Publié en 1886, L’Œuvre, du romancier Emile Zola, est le quatorzième volume après Germinal de la série des Rougon-Macquart.

Peintre maudit à l’hérédité heurtée, Claude Lantier, fils de Gervaise Macquart et d’Auguste Lantier (relire L’Assommoir), en est le principal protagoniste. Allant d’échec en échec, il ne parvient pas à imposer ses nouvelles idées en matière d’esthétique, et finit par se pendre devant une toile gigantesque inachevée, L’Œuvre.

 La critique a vu en lui un portait peu amène de Paul Cézanne, ami d’enfance de l’écrivain, qui n’aurait que peu apprécié cet hommage.

Le roman aurait donc provoqué un mouvement de rupture entre les deux anciens complices du collège d’Aix-en-Provence. Telle est du moins la vulgate.

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Une nouvelle publication (augmentée) de la correspondance entre Paul Cézanne et Emile Zola permet d’y voir un peu plus clair, peut-être. Henri Mitterand en est le maître d’œuvre, pour qui la défense de celui-ci joue le rôle d’un impératif catégorique, remettant en question l’avis jusqu’alors repris par tous de John Rewald  – et de « la superficialité critique » -, initiateur d’une première publication des lettres en 1937.

La légende était douloureuse, qui l’est désormais un peu moins.

« Entre Zola et Cézanne, ce ne fut pas seulement un apparentement, plus ou moins démontrable, sur le plan des idées, des choix de sujets, des recherches de facture, de l’insertion dans l’air du temps, mais aussi une même origine géographique, un même champ social et éducatif, l’appartenance à un même milieu d’artistes, un même refus des académismes, un même attachement aux objets et aux formes du monde, une même prise de distance par rapport aux impératifs des conventions. Il n’est rien de comparable pour la nature et la durée de l’entente. »

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Certes, après le succès des premiers volumes de son vaste cycle romanesque, le chef de file du courant naturaliste écrit moins à son ami d’enfance, une fameuse lettre de 1886 accusant réception de l’envoi de L’Œuvre ayant indubitablement mis un frein, voire un terme, à leur échange de lettres.

La distance polie exprimée alors par Paul Cézanne a ouvert la boite de Pandore des commentaires exégétiques.

Mais lisons plus large que la dimension du dépit – rien ne sera plus jamais comme avant -, et apprécions la formidable énergie de l’écrivain ayant encouragé son ami – les lettres de jeunesse, très souvent versifiées, sont abondantes – dans sa vocation de peintre, comme Zola reçut son plus grand soutien lors de terribles moments de doute.

Emile Zola, le 9 février 1860 : « Je suis abattu, incapable d’écrire deux mots, incapable même de marcher. Je pense à l’avenir et je le vois si noir, si noir, que je recule épouvanté. Pas de fortune, pas de métier, rien que du découragement. Personne sur qui m’appuyer, pas de femme, pas d’ami près de moi. Partout l’indifférence ou le mépris. Voilà ce qui se présente à mes yeux lorsque je les porte à l’horizon, voilà ce qui me rend si chagrin. Je doute de tout, de moi-même le premier. Il est des journées où je me crois sans intelligence, où je me demande ce que je vaux pour avoir fait des rêves si orgueilleux. Je n’ai pas achevé mes études, je ne sais pas parler en bon français ; j’ignore tout. » (on peut s’amuser de la remarque finale)

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Le 16 avril 1860 : « Toi ! ne pas réussir, je crois que tu te trompes sur toi-même. Je te l’ai déjà dit pourtant : dans l’artiste il y a deux hommes, le poète et l’ouvrier. On naît poète, on devient ouvrier. Et toi qui as l’étincelle, qui possèdes ce qui ne s’acquiert pas, tu te plains ; lorsque tu n’as pour réussir qu’à exercer tes doigts, qu’à devenir ouvrier. » (la poésie reste pour eux le premier des arts)

Le 25 juin 1860 : « Comme le naufragé qui se cramponne à la planche qui surnage, je me suis cramponné à toi, mon vieux Paul. »

On comprend ici que pour les deux génies l’amitié fut un contrefort adossé à un tremplin, et que la vie matérielle est d’autant plus difficile que la quête spirituelle est exigeante.

Entrecoupé de considérations biographiques d’une grande précision, l’ensemble de ces Lettres croisées est organisé en cinq chapitres, dont le déroulé est en soi un roman : « 1858 – 1860 : vocations solidaires », « 1861 – 1864 : les refusés », « 1865 – 1870 : d’un Salon l’autre », « 1871 – 1877 : impressionnisme – à la fortune du mot », « 1878 – 1887 : l’impression des temps écoulés »

Pour la composition de Thérèse Raquin, Emile Zola reste « courbé sur [son] bureau du matin au soir », mais l’effort vaut le renouvellement des chandelles, qui inaugure véritablement sa carrière de romancier, et un début de notoriété, quand celle de Cézanne peine à s’établir.

Ayant beaucoup regardé et admiré les peintres de son temps (Manet, Monet, Pissarro, Courbet, Corot, Daubigny) et de l’histoire de cet art (la peinture italienne via Stendhal) pour composer ses scènes, Zola fait naturellement de Cézanne un frère de travail et d’inspiration.

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A l’annonce de la mort de l’auteur d’Une page d’amour, en septembre 1902, Paul Cézanne s’effondre.

Il avait écrit le 4 avril 1886 : « Tout à toi sous l’impression des temps écoulés. »

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Paul Cézanne et Emile Zola, Lettres croisées, 1858-1887, édition établie, présentée et annotée par Henri Mitterand, Gallimard, 2016, 462 pages

Site Gallimard

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