Brassaï, peintre de la vie moderne, ou la vie en amitié

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Brassaï, arrivé à Paris en 1924, voulait être peintre, il fut, soutenu par le Hongrois André Kertesz, reconnu comme photographe, et devint très vite la maître des photos de nuit.

L’album de cet artiste total, Paris la nuit, publié en 1932 est un classique, comme Les petits poèmes en prose de Charles Baudelaire, ou Les Pâques à New York, de Blaise Cendrars.

Des errances, des rencontres folles, de l’alcool, des filles, des travestis, des facéties, des graffitis, en lesquels le noctambule découvre des hiéroglyphes modernes et très anciens.

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Des vagabondages avec Jacques Prévert ou Henry Miller (relire son portrait du photographe intitulé L’œil de Paris).

Des fous-rires avec Yves Allégret, Lawrence Durrell ou Anaïs Nin.

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L’ami de Picasso et de Georges Bataille – il participe à la revue Le Minotaure, y montrant notamment ses photographies de graffitis – est aussi le complice de Roger Grenier, qui évoque dans un texte de près de quarante pages leur amitié de trente-trois ans, Brassaï et les lumières de la nuit.

En ouverture de la publication de leur correspondance (1950 – 1983), ce texte est repris, il est superbe.

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On peut y lire ceci en son liminaire : « Venant de Brasso, en Transylvanie, il trouva avec nous une nouvelle famille. Je pense souvent que c’est moi qui l’ai marié, à la mairie du XIVe et à Notre-Dame-des-Champs, et que c’est moi qui l’ai enterré, au cimetière de Montparnasse. Pour le mariage, il avait fallu passer par l’église, parce que la famille de Gilberte était très catholique. Je revois la nef quasi déserte. Une femme, qui était je crois une lointaine cousine de Brassaï, jouait du violon. Le couple avait attendu 1948 pour cette union officielle, c’est-à-dire que Brassaï soit naturalisé français. Le journal Elle publiera peu après un reportage sur « Les plus belles femmes du monde » et classera Gilberte parmi elles. En attendant le mariage, Gilberte habitait 132 boulevard du Montparnasse. Coïncidence, Matisse aussi. De chez Gilberte, il y avait une vue plongeante sur la cuisine de Matisse. Ses dessins y séchaient sur de longs fils tenus par des pinces à linge. »

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Les dés sont lancés, ils sont merveilleux, et l’art sauvera le monde.

Brassaï : « Montparnasse était alors un poison redoutable ; avec une bande de copains, dont le poète Henri Michaux, on ne quittait Le Dôme à une heure du matin que pour La Coupole qui bouclait une heure plus tard. A la fermeture on émigrait aux Îles Marquises, rue de la Gaîté, et ça se terminait toujours gare Montparnasse, à l’heure du café chaud et des journaux frais. »

La correspondance entre les deux amis fourmille de scènes, d’anecdotes, de phrases qui révèlent un formidable goût de la vie, alors que Brassaï travaille à son édition du Paris secret des années 30, ou se met à la sculpture.

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La nécessité d’écrire du photographe, qui est grand lecteur, formidable conteur, est permanente et peut-être de plus en plus impérieuse – lire Les Artistes de ma vie, Histoire de Marie, texte repris dans Paroles en l’air, Conversations avec Picasso, Les Sculptures de Picasso, Lettres à mes parents, Henry Miller grandeur nature, Henry Miller rocher heureux, son essai Marcel Proust sous l’emprise de la photographie.

Les cartes postales font le tour du monde, Suède, Turquie, Italie, Espagne, Etats-Unis, Brésil, ou sont envoyées des quatre coins de la France, par exemple de Cannes où le couple Brassaï est venu en 1956 pour la projection officielle du court métrage Tant qu’il y aura des bêtes, qui sera primé.

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De Josselin, commune du Morbihan, le 16 octobre 1954 : « Nous avons fait joyeusement les calvaires et le ciel était clément. Je vous emBrassaï. »

D’Eze-Village (Alpes maritimes), où le photographe possède une petite maison dans laquelle il vient de vivre le début d’un infarctus (septembre 1964) : « Jour d’anniversaire : il y a exactement une semaine – la nuit du samedi à dimanche – que six bœufs énormes ont essayé d’arracher mon cœur de ma poitrine – sans succès d’ailleurs. »

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On peut lire la correspondance entre Brassaï et Roger Grenier comme une longue rêverie de trente-trois ans, ode commune à la liberté de créer, voyager, aimer.

« La beauté n’est pas le projet de la création, c’est sa récompense. » (Brassaï)

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Brassaï / Roger Grenier, Correspondance 1950 – 1983, précédé de « Brassaï et les lumières de la ville », par Roger Grenier, Gallimard, 2017, 222 pages

Site Gallimard

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Se procurer le volume de la correspondance Brassaï – Roger Grenier

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