« Il n’existe évidemment qu’un Dieu, une vérité unique, que chaque peuple, chaque époque, chaque individu reçoit à sa façon, et qui ne cesse de prendre des formes nouvelles. L’une de ses formes les plus belles et les plus pures est assurément celle du Nouveau Testament, par quoi j’entends du reste uniquement les Evangiles, plus que les épîtres de Saint Paul. Je considère certaines sentences du Nouveau Testament, à côté de passages de Lao-tseu, du Bouddha et des Upanishads, comme ce qu’on a reconnu et exprimé de plus vrai, de plus concentré et de plus vivant sur cette terre. »
Qui a déjà ressenti le bonheur de se laisser toucher par la sagesse de l’auteur de Siddhartha (1922), Hermann Hesse (1877/1962), trouvera dans la parution de La foi telle que je l’entends, par les éditions La Coopérative – première publication en Allemagne en 1971 sous le titre Mein Glaube – confirmation de la profondeur des pensées sur la religion d’un écrivain sensible dès son plus jeune âge aux spiritualités orientales.
Recueil de réflexions sur les points de convergence entre piétés chrétienne et extrême-orientale, La foi telle que je l’entends est un éloge de l’unité, une célébration du Monde-Un et de l’éveil spirituel permettant de vivre sans contrainte la sensation d’une âme commune rayonnant en chacun, en chaque chose, tel un chant continu.
« Rien au monde n’est pour moi objet de conviction aussi profonde, nulle idée ne m’est aussi sacrée que celle d’unité, l’idée que la totalité du monde est une unité divine et que toute la souffrance, tout le mal ne consistent qu’en ceci que nous autres individus, nous ne nous éprouvons plus comme des parties indissolubles du Tout, que le Moi s’accorde à lui-même trop d’importance. »
Polemos dirige le monde, mais c’est mal comprendre notre mission de progression « vers la personnalité, la responsabilité, la liberté ».
Acquiescer, ne plus résister, accueillir la grâce.
Le matérialisme consumériste et l’intellectualisme à outrance nous ont détournés, par excès d’ego, de l’Un originel.
L’annihilation de la vie spirituelle se nourrit ainsi de la destruction des cultures populaires, et du beau visage des plus singuliers – diagnostic pasolinien.
Relevant en 1926 (2017 ?) « l’aspiration de notre époque à une vision du monde », Hermann Hesse pointe la multiplication des sectes de toutes sortes, cherchant à séparer le bon grain de l’ivraie, Lao-tseu, Martin Buber, Richard Wilhelm (traducteur du Tao Te King) et Hugo Ball (grande amitié inattendue envers le fondateur du dadaïsme), des petits maîtres mystificateurs.
Remarque, au passage : « Les conférences et les livres des bouddhistes zen actuels, au premier rang desquels Suzuki, rencontrent une très grande audience en Europe et en Amérique, au point qu’il existe, hélas, quelque chose comme une mode zen. »
La pensée méditante se doit donc aussi d’être une pensée éclairée capable de repousser les tentations de la facilité.
« Depuis environ deux cents ans, la pensée occidentale a été fréquemment et puissamment touchée et influencée par l’esprit indien qui, sur la voie passant par Schopenhauer, a aussi contribué à éduquer une élite dans l’intelligentsia allemande. »
Refusant l’idée de hiérarchie entre les religions, l’auteur du Jeu de perles de verre (1943) envisage en chrétien mystique la religion comme un summum de poésie et de simple inspiration, mettant à distance son éducation protestante : « Tout de même, il m’arrive à l’occasion d’envier aux catholiques la possibilité de dire sa prière devant un autel au lieu de le faire chez soi dans une chambre souvent si étroite, et d’aller proférer l’aveu de ses péchés dans le trou d’un confessionnal au lieu de toujours l’abandonner à la seule ironie de l’autocritique solitaire. »
Unie par un même esprit animant l’humanité en son entièreté, l’existence particulière a pour Hesse indubitablement un sens, qu’il incombe à chacun de rechercher, de révéler, ceci pouvant s’appeler avec Jung processus d’individuation.
« Je pense que nous sommes environnés en permanence par la grâce, ou le tao, ou tout autre nom qu’on veuille lui donner ; elle est la lumière, elle est Dieu lui-même, et si nous nous ouvrons un instant, elle entre en nous, que nous soyons un enfant ou un sage. »
Que la raison n’assèche alors pas la spiritualité, mais lui permette de s’épanouir en considérant chaque chose comme un don, sans valoriser systématiquement le supposé progrès comme arrachement de chaque objet du monde au règne de l’ignorance grossière : « L’homme rationnel rationalise le monde et lui fait violence. Il est toujours enclin à être furieusement sérieux. C’est un éducateur. »
La nature, l’art, la foi seront pour lui au mieux des divertissements, des petits écarts délectables et coupables.
« Si cette époque, cette atmosphère de mensonge, de cupidité, de fanatisme, de grossièreté ne m’a pas tué, je le dois à deux heureuses circonstances : d’une part, je dois à mon hérédité d’être proche de la nature, d’autre part, j’ai beau m’opposer à mon époque et la mettre en accusation, il m’est possible de produire une œuvre. Sans cela, je ne pourrais vivre, et même ainsi, ma vie est souvent un enfer. »
La tâche de réconcilier « Vénération » et « Raison », âme individuelle et âme universelle, apparaît donc pour Hesse comme un impératif moral majeur, un juste chemin, une voie de vérité, sur laquelle se trouve, « davantage à lui seul que tous les présidents américains du siècle et tous les représentants et créateurs du communisme, de Marx à Staline », le mahatma Gandhi.
Avis aux plus intelligents : « On s’efforce d’atteindre des sommets intellectuels, et on finit avec les canons. »
La couverture du livre représente sur fond bleu un sublime mandala tibétain, qui est davantage qu’un cercle de couleurs et de formes symétriques, la structure même de l’âme ouverte, en expansion, peut-être de l’amour.
Hermann Hesse, La foi telle que je l’entends, édition et postface Siegfried Unseld, traduit de l’allemand par Philippe Giraudon et Jean-Yves Masson, éditions La Coopérative, 2017, 192 pages