
Nous n’avons généralement de l’histoire de la photographie mexicaine, frappante par sa puissance et la ferveur populaire qui l’accompagne, qu’une vision extrêmement parcellaire.
Manque en français une étude d’ensemble.
Ainsi le cent trente cinquième numéro de la collection Photo Poche chez Actes Sud pourrait-il bien nous aider à combler, en cent quatre photographies noir et blanc choisies par Michel Frizot, quelques-unes de nos lacunes majeures.

Pays où la pratique photographique fut d’emblée importante, le Mexique fait figure de laboratoire, pour les usages sociaux et artistiques de ce médium, entre multiplication des studios locaux, volonté de documenter la geste révolutionnaire, et ambition de développer son potentiel esthétique à travers un imaginaire débridé et très audacieux.
Entre approche ethnographique (les cultures vernaculaires, la ruralité indigène, Mexico et les grandes villes, les traces du colonialisme, la prépondérance du catholicisme), tentations surréalistes (Kati Horna), goût des formes pures (Edward Weston), engagement politique (Tina Modotti) ou poétique (Manuel Alvarez Bravo), la photographie mexicaine est d’une richesse considérable, place éminente étant faite aux regards des femmes (Mariana Yampolsky, Graciela Iturbide, Flor Garduno, Colette Alvarez Urbatjel).
Alfonso Morales Carillo fait de la photographie un facteur d’unité nationale dans un pays au grand disparate : « La modalité autant profane que religieuse de l’éternel retour qu’incarnait la photographie donna aux Mexicains des XIXe et XXe siècles la chance de construire et de soutenir des valeurs sociales, des liens familiaux et communautaires, le sens de l’appartenance à une localité, à une région et, en ultime instance, à un pays qui seulement sur le terrain des lois, des ordonnances gouvernementales et des symboles partagés maintenait la fiction de son unité. »

Fixant les stéréotypes de la mexicanité, la photographie tendit également à créer un exotisme devenu terrain de jeu pour les artistes cherchant à faire tomber ou accentuer pour les troubler les représentations dominantes.
Il importe donc d’établir, pour tenter de l’approcher au mieux, « la photographie mexicaine » en ses sources et courants divergents, les flux d’images la représentant, son champ énergétique célébré par les plus grands artistes internationaux, André Breton notamment.
« Des photographes et cinéastes de renom venus de toutes parts – Eisenstein, Guilermo Kahlo, Henri Cartier-Bresson, Paul Strand, George Hoyningen-Huene, Kati Horna, Walter Reuter, Mariana Yampolsky, Bernard Plossu – nous laissèrent la mémoire de leurs brèves ou longues rencontres avec un monde qui fascinait surtout par la richesse des syncrétismes culturels et religieux. »
La sélection d’images opérée de façon chronologique par Michel Frizot n’est bien entendu qu’une infime partie du continent mexicain, mais a l’avantage d’en restituer toute la saveur, passant les noms, et offrant à chacun la possibilité de prolonger par ses propres recherches une étude déjà passionnante en son liminaire.
Certains patronymes ne vous diront rien, tant mieux, c’est un gage de découvertes magnifiques.
Surgissent des militaires paradant, des ruines archéologiques, le cercueil de l’empereur exécuté Maximilien de Habsbourg, des Indiens séris (dits « semi-civilisé »), des Taharumaras, un prêtre du dieu du feu de la communauté huichole (par le Norvégien Carl Lumholtz), un impressionnant chevalier jaguar (vers 1885), les corps féminins du voyeuriste et très curieux Juan Chrisostomo Mendez, tant d’autres merveilles, par Romualdo Garcia, Agustin Victor Casasola, Hugo Brehme, Manuel Ramos, Guillermo Kahlo…

En 1962, Antonio Reynoso (1923-1996) photographie en noir et blanc une dame nue opulente, putain vierge debout, s’observant dans un petit miroir, le corps légèrement déséquilibré par la marche d’un escalier en pierre constituant le perron d’une maison inondée de soleil.
Cette femme est sublime, c’est la source du monde, l’origine du feu.
Michel Frizot : « Les photographies retenues témoignent d’un écartèlement et d’une dualité des enjeux, que beaucoup de photographes semblent vouloir traduire en image, entre le respect des anciennes civilisations et de leurs survivances, et l’adaptation à une modernité déferlante, entre la réalité brutale du fait divers et la vivacité de l’imagination et des références vernaculaires. La ligne directrice de ce volume s’est ainsi tracée entre considérations terriennes et métaphysique ordinaire, entre humanité souffrante et rêverie prolifique. »
La photographie mexicaine, introduction d’Alfonso Morales Carillo, commentaires de Gina Rodriguez et Alfonso Morales Carillo, conception, recherche et choix d’images, postface de Michel Frizot, collection Photo Poche, n°135, Actes Sud, 2018, 208 pages
Exposition Los Modernos du 2 décembre au 5 mars 2018 au musée des Beaux-Arts de Lyon
Site du musée des Beaux-Arts de Lyon
Exposition Mexique, aller-retour, du 2 décembre au 3 mars 2018, galerie Le Réverbère (Lyon)
Site de la galerie Le Réverbère

Je n’ai encore jamais vu le Mexique sous cette angle malgré les nombreuses fois où j’y étais. Merci pour ce partage. Vous avez pris de très beaux clichés.
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