
Le Prix HSBC – aventure commencée en 1996 – offre à ses deux lauréats annuels une première publication monographique, accompagnée d’une exposition itinérante (Paris, Lyon, Mougins, Metz) et d’une aide à la production de nouvelles œuvres.
En outre, HSBC France acquiert systématiquement six œuvres par lauréat.
Parmi les douze nominés, la qualité des travaux présentés (portfolios à voir actuellement à la galerie Clémentine de la Férronnière) était remarquable.
Quelques noms à retenir : Karin Crona, Olivia Gay (prix Joy Henderiks), Elsa Leydier, Sandra Mehl, Shinji Nagabe, Michele Palazi, Walker Pickering, Marie Quéau, Brea Souders, Vladimir Vasilev.

Cette année ont donc été distingués le Français Antoine Bruy pour Scrublands, un travail de portraits d’hommes et femmes ayant choisi de vivre de manière autosuffisante dans la nature, en Espagne, en Roumanie, en France, en Suisse, aux Etats-Unis (seize lieux sont documentés), et le Grec Petros Efstathiadis pour Liparo, photographies d’ « objets poétiques de contestation » (Raphaëlle Stopin) assemblés par ses soins de manière fantaisiste dans le village macédonien dont il est originaire.
A l’heure où les forces de l’ordre tentent d’expulser de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes des utopistes réalistes cherchant à redonner tout leur sens aux notions de territoire, d’environnement, d’habitat, de relations économiques, et de lien social, le travail d’Antoine Bruy sur des personnes ayant choisi de mener leur vie en accord avec leurs idéaux de décroissance et d’harmonie avec la nature se révèle des plus précieux.

En effet, loin du cliché des fous furieux cherchant à réinventer la horde primitive dans un environnement dépollué de l’homme, les êtres que rencontre le photographe sont généralement d’une grande douceur – inquiets peut-être, comment ne pas l’être ? – et dans une recherche de cohérence d’avec le lieu où ils ont choisi de mener leur existence.
Si l’expérience paraît radicale, c’est que les lignes générales ont bougé, et qu’il est bien difficile d’échapper aujourd’hui à l’emprise de la pensée calculante.
Jusqu’à quelle hauteur avons-nous besoin d’eau, d’électricité, de vêtements et de ces produits de toutes sortes encombrant nos logis ?
On pense bien sûr à Thoreau, à la désobéissance civile, à Walden, mais, loin de toute référence, on ressent simplement beaucoup de gratitude envers ces hommes, femmes, enfants prouvant qu’une autre vie est possible, comme le berger solitaire de Jean Giono redonnant vie entière à une vallée, une montagne, en plantant simplement des glands d’arbres tous les jours.

On construit de modestes logements avec les matériaux disponibles autour de soi, ou ceux que l’on a pu échanger avec des voisins de bonne volonté, on réapprend tout, et surtout la puissance des petits riens.
Pour décrire les images d’Antoine Bruy, qui travaille en fin coloriste, Raphaëlle Stopin évoque « un même camaïeu argile », soit une unité de ton traversant chacun, et chaque objet du monde.
Nous ne savons pas précisément où nous sommes, parce qu’il importe moins de savoir où se trouve telle ou telle personne, que de construire, là où nous vivons, nos propres conditions d’utopie, nos propres îles désirables.
Aucune violence ici, du moins directement, quand l’on suppose que nombre de vies se sont éloignées de l’insupportable.
Les images sont de format carré, comme des instantanés, et d’une grande densité de présence, jusqu’en leurs espaces faussement vides, parce que la vie en ces lieux éloignés des circuits commerciaux dominants prend une valeur considérable de se soutenir de la moindre étincelle d’énergie disponible, de la moindre forme, de la moindre réalité animale, minérale ou végétale, et du climat, et des visages, et des surfaces irrégulières.

Du linge sèche, des feuilles tombent, un brouillard se dissipe, un coq parade, une forme surgit d’une anfractuosité, une cafetière noire est posée sur le feu, un homme lit, des enfants prennent leur bain dans une bassine.
C’est le matin ou la fin du monde.
C’est maintenant, en Europe, aux Etats-Unis, dans des possibilités de vivre sans arrogance, dans le rétablissement d’une proximité salutaire d’avec la terre-mère nourricière, étrange, dangereuse, et merveilleuse.

Il y a des tas d’outils, des squelettes, des déchets, des épluchures, des éparpillements de sciure, mais du fouillis apparent domine surtout un grand calme, une forme d’ordre supérieur, des raisons de rester totalement vivant.
Comme à Liparo, village de la Macédoine grecque, où Petros Efstathiadis construit un théâtre insurrectionnel, drôle, inventif, inoffensif, mais hautement signifiant dans un pays asphyxié par la dette et le capitalisme financiarisé.
A sa façon, l’artiste hellène construit aussi des cabanes pour retourner la précarité en force de présence.

Il y a de l’art premier en lui, qui s’amuse des codes de l’art brut pour créer des dispositifs follement libres et malicieux, des bombes d’opérette, des canons de comics.
L’émeute commence d’abord dans l’esprit qui fabrique des totems dada, et formule son désir en agençant bidons, caisses de bois, et toile christique pour bâtir un radeau de fortune.
A la répression policière des corps et des imaginaires, Petros Efstathiadis oppose ses structures de peu, faites de matériaux de récupération, d’objets ordinaires (des cuillers, de la paille, du plastique, un skate, des phares automobiles, des balais, des caisses de Coca Cola) si précisément ordonnés qu’ils en deviennent intimidants.
![WATER TOWER LEAK[1]](https://fabienribery.files.wordpress.com/2018/04/water-tower-leak1.jpg?w=1000)
L’enfant joue au soldat devant la soldatesque, pose sa tête sur un billot de bois, allume la mèche conduisant à une hache, et sourit à ses ennemis soudain affolés de tant d’audace.
La fiction chez Efstathiadis n’est pas l’envers de la réalité, mais son accomplissement traumatique, et son jeu.
Antoine Bruy, Scrublands, texte de Raphaëlle Stopin, Editions Xavier Barral, 2018, 108 pages – 55 photographies
Petros Efstathiadis, Liparo, texte de Raphaëlle Stopin, Editions Xavier Barral, 2018, 108 pages – 60 photographies

Exposition itinérante 2018 :
Paris – Galerie Clémentine de la Féronnière, du 12 avril au 18 mai 2018
Galerie Clémentine de la Ferronnière
Lyon – Galerie Le Réverbère, du 1er juin au 15 juillet 2018

Mougins – Musée de la Photographie André Villers & Galerie Sintitulo, du 20 juillet au 16 septembre 2018
Metz – Arsenal / Cité musicale – Metz, du 27 septembre au 28 octobre 2018
