
Charles Juliet (Trouver la source, 1992) : « Voilà. J’ai nettoyé mon œil. Ce fut long, un immense travail. »
On le sait, Noto est une revue culturelle gratuite de grande qualité.
Publier le numéro 11 ne fut pas une évidence, mais quand la maison brûlait les contributeurs/donateurs affluèrent via une campagne de financement participatif visant à pérenniser la revue, notamment par les abonnements.
C’est fait, et bien fait, maintenant parlons du fond.
Ce qui donne à Noto toute sa tenue est la mise en relation constante de la sensation poétique de l’existence et de la pensée, quel que soit le sujet.
Dans son edito, « De cette façon – devenir, ouverture », Alexandre Curnier, qui a rassemblé autour de lui une équipe composée essentiellement d’écrivains et d’historiens de l’art, cite Yves Bonnefoy, dont la présence est perceptible tout au long de la revue, comme un arrière-pays.
Denis Lavant, interrogé par Odile Lefranc, déclare plus loin : « La poésie est une disposition à être perméable à certaines émotions, à des choses qui se passent tous les jours : une lumière, un regard que l’on croise, quelque chose de fortuit. »
Noto, c’est toujours, dans une pagination inventive (qui précède qui est souvent une surprise) un grand entretien, ici avec le philosophe Jacques Rancière, pugnace, précis, scandaleusement démocrate : « Il est prétendu de postuler que celui qui regarde est l’ahuri, quand celui qui voit sait ce qui est caché. Cette traditionnelle valorisation du voir derrière remonte à Platon. Or, je valorise la puissance du regard, car il se fixe sur ce qui est en face, sur le visible, sans savoir par avance ce que ce visible montre, encore moins ce qu’il cache, ou ce qui l’explicite ou le fonde… Celui qui regarde est celui qui ne sait pas, qui cherche à savoir, à saisir la puissance à l’œuvre dans ce visible, qui essaye de voir comment prolonger cette puissance qui échappe à l’explicitation. »

S’approcher au plus près de cette « puissance à l’œuvre dans le visible », telle est l’ambition de nombre des auteurs de Noto, qu’il s’agisse du plasticien Hugo Dervèche inaugurant par ses œuvres ce nouveau numéro, de la brodeuse Corinne Bongrand reprenant avec volupté des phrases du romancier Paul Hervieu (1857-1915), de Jean-Claude Lebensztejn (L’Intervalle a présenté en 2016 son fabuleux et impertinent Figures pissantes 1280-2014 chez Macula) étudiant une Déposition de Pontormo à la couleur délicieusement folle, ou de Jean Streff (ne pas confondre avec Jeanloup Sieff, quoique) complétant son blason du corps féminin avec un article richement illustré sur le genou (bravo pour le choix d’une photographie de Géraldine Lay).
Il y a une érotique Noto, qui est faite de douceur et d’éloge subtil du corps, très sensible dans le choix des illustrations et de leur découpe (Désiré François Millet, Jean-Luc Godard, Clémence Hérout photographiant l’atelier de couture de la Comédie-Française).

Dire d’une revue ce que l’auteur du Partage du sensible (éditions La Fabrique, 2000) écrit dans Le Spectateur émancipé (2008) : composer « son propre poème avec les éléments du poème en face de lui. »
Noto, revue culturelle gratuite, numéro 11, 2018, 112 pages