
C’est un livre sans titre, du Suédois Erik Östennson, peut-être parce qu’il déroute toute nomination, et que son principe est celui d’une chorégraphie de silences.
C’est un ballet de gestes, de positions, de signes corporels, d’attitudes physiques, teinté d’un humour scandinave très subtil.

Tout ici cherche l’équilibre, le trouve, est une grâce aérienne, une farce circassienne.
Tout ici procède d’un trou premier, d’une aspiration (vers le bas ou le haut), d’une pénétration de l’air, d’un jeu avec la pesanteur et d’une traversée des surfaces.

En quarante-quatre images couleur, Erik Östensson invente un cosmos, une scène, des rencontres de matières et de chairs.
La sensation générale est haptique, tant la question du contact semble ici structurer l’ensemble des images du photographe vivant et travaillant à Stockholm.

Que peuvent les corps réunis ?
L’union du féminin et du masculin produit un troisième genre, terriblement sensuel.

La délicatesse et la fermeté de la pensée inspirent une œuvre qu’il ne faut pas recouvrir de trop de mots, afin de la laisser pleinement respirer.
Elle se déploie entre sculpture et danse, mettant en scène des ensembles considérés en leur point de bascule, d’effacement ou d’étrangeté.

Il y a ici de la merveille, comme pour le profane découvrant le travail d’un sourcier dont la baguette indique des sources mystérieuses.
Sont-ce celles de l’inconscient ?

La main s’étonne de son pouvoir, c’est celle d’un enfant attirant à lui tout l’univers.
L’eau, le fer, le bois, le papier, le tissu, la terre et la chair d’homme ont des conversations qui échappent à la raison raisonnante.
Les doigts et les végétaux indiquent des directions menant à l’inconnu.

On peut appeler cela la surréalité, le dépassement des antinomies factices, les grandes épousailles du petit tas de cailloux avec le couteau entrant dans un verre d’eau.
La fantaisie se présente sous l’apparence d’un sérieux inébranlable, et provoque une sorte de rire bouffon.

Le burlesque pose, la tête à l’envers, la question des possibilités d’interactions entre des entités incompossibles, alors que tout socle menace de se retourner.
Quand des filets de maquereaux rassemblés à la verticale ressemblent à une compression de César, on se dit que la Suède, ce pays de la juste mesure, pourrait être aussi celui de René Magritte.
Erik Östensson, livre sans titre, designed by Patric Leo / Leo Form, Kehrer Verlag (Heidelberg), 2019, 88 pages – 44 images couleurs