
Fixer les images de l’enfance, telle pourrait être l’une des principales justifications de la photographie pour nombre d’artistes ayant choisi ce médium afin de rendre compte de l’émerveillement des jours passés au contact des plus jeunes membres de leur famille.
Pari : retourner le fameux « familles, je vous hais » gidien en puissance de grâce.

On peut songer à la récente publication du travail au long cours en quatre volumes de Guillaume Geneste chez Filigranes, mais aussi à celle d’Alain Laboile (Bessard Editions, Kehrer Verlag), star des réseaux sociaux avec sa petite communauté de bandits sales et joyeux.
Apparaît aujourd’hui, chez les excellentes éditions Bergger, Le Temps des Grenadines de Dan Aucante, équivalent, à l’époque des menthes à l’eau, du Temps des gitans gorgé de țuică et autres breuvages euphorisants.

Ici, l’ivresse n’est pas un effet de la dive bouteille, mais une suite logique de la joie spinozienne d’être au monde et de persévérer dans son être, à fond, sans même le savoir.
C’est le temps des cabanes et des courses aux oiseaux, des pieds écorchés et des cartables jetés dans les buissons.

En format carré et à l’argentique noir & blanc, Dan Aucante restitue par des chemins de détails la peau des jours.
Ce sont des châteaux de sable sur l’estran, des promenades dans les bois à rechercher le loup, des levées de cerfs-volants comme autant de méduses aériennes.

Les flibustiers se déguisent pour aborder les rives de la nuit.
Sorcières, corbeaux, figurines acéphales, tout menace, mais tout peut être joué, déjoué, rédimé.

Il suffit de se grimer, de se cacher, d’aller plus vite que la musique.
Dan Aucante aime la danse et les jeux d’équilibre, les dents de lait tombées et les bulles de savon, les masques et les tournesols mélancoliques.

Temps bouleversant des premières fois, des bains de rivière parmi les têtards, et des fleurs jetées dans le courant.
Ophélie n’est jamais morte, d’ailleurs c’est un petit garçon espiègle apprenant les lois du soleil.

Mains tendues dans le neuf, à l’instant où la mort se découvre.
L’enfant a compris qu’il est né pour chuter, et le voilà qui s’amuse à sauter dans l’eau d’un promontoire de falaise.

La photographie exprime la mort au travail, c’est sa nature ontologique.
Elle dit aussi que chaque instant peut être arraché à l’ordre du crime quand le cœur est sans détour.
Dan Aucante, Le Temps des Grenadines, texte de Christine Delory-Momberger, traduction en anglais Marianne Chalmers, Bergger éditions, 2019 – 500 exemplaires
Dan Aucante est représenté par l’agence Révélateur