
« Berthe Morisot, écrit Marianne Mathieu, est longtemps restée dans l’oubli. Parce que grande bourgeoise, parce que femme, son œuvre a durablement été taxée d’amateurisme. »
J’aime beaucoup la petite collection Hazan présentant des peintres en quinze questions et autant de réponses, tout simplement parce qu’elle me détend intelligemment en aiguisant mon regard à partir de points de culture générale parfois un peu hésitants.
Après un premier volume consacré à Monet, Marianne Mathieu nous apporte son éclairage sur Berthe Morisot.

L’approche est pédagogique sans être purement scolaire, l’enjeu étant ici bien évidemment de partager démocratiquement le savoir plutôt que de le considérer comme un pouvoir.
A quoi pense-t-on lorsque surgit le nom de Berthe Morisot ?
A ses amis, les Renoir, Degas, Monet.
A l’impressionnisme.

A sa palette vive.
A ses pastels.
A la thématique de la vie familiale.
Au modèle de Manet.
A une femme restée longtemps dans l’ombre des plus grands, étant pourtant leur égale.

Rétablie comme artiste majeure par les historiens de l’art américain dans les années 1980, elle est célébrée aujourd’hui comme la première femme impressionniste.
Voici la liste des questions stimulantes que pose l’auteure, dont les réponses tiennent chaque fois en deux pages synthétiques bien illustrées : 1) Une femme peut-elle devenir peintre ? 2) Muse ou élève de Manet ? 3) Intérieur, extérieur ? le plein air en question 4) Officielle ou refusée ? la voie de l’impressionnisme 5) Berthe et Eugène : mariage de raison ou union moderne ? 6) Vie bourgeoise, vie d’artiste ? 7) Julie Manet, enfant modèle ? 8) Berthe Morisot peint-elle sa vie ? 9) Héritière du XVIIIe siècle ? 10) Vendre ou offrir ses œuvres ? 11) Et l’art de collectionner ? 12) Peindre de l’inachevé ? 13) Un style à soi ? 14) Pourquoi Berthe Morisot est-elle si rare dans les musées ? 15) Berthe Morisot et le féminisme ? (et pour aller plus loin il y aura une chronologie, une bibliographie sélective, un index)

Je prends (presque) au hasard la question 9, qui me plaît particulièrement.
Dès le début du XIXe siècle, précise Marianne Mathieu, le style rococo suscite une curiosité nouvelle, dont on retrouve maints détails dans l’œuvre de Berthe Morisot, qui va jusqu’à copier François Boucher. On redécouvre aussi avec bonheur ces peintres de la vie quotidienne et heureuse que sont Jean-Antoine Watteau, Jean-Honoré Fragonard, Jean-Siméon Chardin, qu’aime à regarder l’artiste, admiratrice en outre du grand pastelliste Quentin de La Tour.
« La filiation semble si forte, poursuit l’historienne de l’art, que l’on dit bientôt de Morisot qu’elle est l’arrière-petite-nièce de Fragonard. »
Voilà, il faut ici choisir pour guide le hasard, parcourir le livre avec légèreté, en se laissant charmer par les reproductions, tout en ne cessant d’approfondir son jugement.
Paul Valéry se questionnait ainsi dans une formule brillante : « Sa singularité serait-elle de vivre sa peinture et de peindre sa vie ? »
Marianne Mathieu, Berthe Morisot en 15 questions, Hazan, 2019, 96 pages – 25 illustrations
On pourra lire également avecjoie le Journal de Julie Manet (1878-1966), fille de Berthe Morisot et d’Eugène Manet, frère du grand Edouard, et dont Renoir était le mentor.
La petite fille si souvent portraiturée par sa mère – à sa mort Stéphane Mallarmé devient son tuteur – jouera un rôle majeur dans l’exposition « Berthe Morisot » à la galerie Durand-Ruel en 1896 (380 numéros)., cherchant inlassablement à faire la promotion de son œuvre.
Elle écrit par exemple ceci à propos de cet événement majeur organisé à l’occasion de la première année de la mort de sa mère : « En arrivant par la petite salle on est frappé par le savoir de ces œuvres de jeunesse, l’exactitude du dessin. Dans la grande, par la clarté, la lumière extraordinaire des tableaux, qui éclairent la salle ; par les figures ravissantes, souples, les tons merveilleux des fleurs, cette œuvre si féminine et qui se tient si bien. Dans la salle du fond le dessin vous émerveille et le travail ; l’âme si entièrement artiste se montre dans le moindre croquis comme dans la toile la plus travaillée. »
Et ceci, qui date lundi 24 juillet 1899 : « Quel portrait du monde perdu par le progrès, la science. Les intellectuels !«
Le sensualisme à travers les siècles, voilà donc Julie Manet et sa mère, Berthe Morisot.
Julie Manet, Journal (1893-1899), Mercure de France, 2017, 580 pages
Je connaissais pas cette collection ! Merci pour le partage !
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Très beau post, j’en avais entendu parler mais je ne la connaissais pas bien. Félicitations pour en parler si bien.
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