
Après Au clair de son ombre (série Père, 2013), Sur les rives de soi (série Couple, 2014) et Eve Réincarnée (série Sœur, 2017), Colette Pourroy poursuit avec Rouge était sa couleur (André Frère Editions) son travail sur la mémoire familiale et les interactions intimes.
Son dernier volume est un hommage à sa mère en vingt-neuf images carrées réalisées en film argentique noir & blanc sans retouche.
La profondeur de noir est chez elle essentielle, qui indique à partir de quelle hauteur de néant s’élabore son œuvre de survivance.

Rien de déclaratif ici, mais la pudeur et la force des symboles, des choix de cadrages, des compositions d’objets, des portraits.
Tout commence par des glyphes, des pas dans la neige, les chemins et les lignes d’une ville belle parce que mystérieuse, endurante, sacrée, hésitante, troublée.
« Chaque capture, écrit en préface le réalisateur et photographe Michel Meiffren, est un imaginaire singulier évoquant tant de doutes, de fêlures, de blessures, de désirs éteints, d’espoirs en attente. »

De l’eau coule dans un vasque à partir d’un robinet de fontaine dont l’embouchure est une tête de dragon : voici une figure du père, fécondant la mariée, bassin ouvert, épanouie.
On avance à pas feutrés dans les images de Colette Pourroy, de peur de déranger, d’en savoir trop, de trop comprendre.
Ce sont des draps, des silences, et des lumières éteintes.

Des huisseries, des fentes, des ajustements.
Le regard d’une femme très belle, aimée, aimant, amoureuse.
Un appareil photographique sur trépied (le tout est flou), comme un Alien dans un film de Paul Verhoeven.

Et surtout des souliers, des talons, la grâce de fins mollets : « Ma mère adorait danser, elle m’a impressionnée avec ses escarpins noirs et ses bas, toujours très élégante, même si son amour pour le rouge m’insupportait. »
La vie passe comme une bulle de champagne dans du cristal de roche.
Elle est folle, imprévisible, tellement incertaine, violente.

Pourtant, on peut la danser, la cogner, l’enflammer.
Poing levé, voici la mère, la femme, Eve indomptée.
Pas de nostalgie chez Colette Pourroy, mais un sens de l’écriture photographique, capable de saisir à la fois l’exil et la tendresse, la sensualité et le sommeil, les vapeurs d’êtres et la brillance d’un pavé frappé par la pluie.

« Elle nous emmenait dormir à l’hôtel, confie l’artiste, quand mon père lui faisait peur. C’est pour cela certainement que j’aime autant les hôtels ! Je la voyais en larmes, je la voyais craquer enfin. Je l’aimais tellement plus dans ces moments-là… »
Il faut fuir, sauver sa peau, sauver ses yeux, sauver ses enfants.
Parce qu’elles n’expliquent rien, tout en laissant deviner le plus nu, le plus dur, le plus beau, les photographies de Colette Pourroy embarquent dans les éblouissements de leur nuit nos yeux argonautes.
Colette Pourroy, Rouge était sa couleur, texte de Michel Meiffren et Laura Serani, André Frère Editions, 2019, 64 pages