Nous, le migrant, par Jean-Luc Parant, plasticien et écrivain

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© Mark Brusse

« Ce qui nous manque c’est de na pas pouvoir serrer la main de tous les hommes, embrasser toutes les femmes, regarder les yeux de tous les enfants. »

Je n’aime pas le mot migrant, désignant des réfugiés dont on fait comprendre qu’ils sont des transhumants saisonniers, ou une espèce zoologique soumise à l’attraction de la lune.

Cependant, si l’on élargit ce terme à une dimension anthropologique fondamentale d’homo viator (Gérard Haddad), s’ouvre un champ d’énergie et de conflits concernant chacun.

Ainsi, dans Nous sommes tous des migrants, publié à Strasbourg à L’Atelier contemporain, le plasticien et écrivain Jean-Luc Parant situe sa pensée bien plus du côté de l’ontologie et de l’anthropogenèse que du prêt-à-penser médiatique et de la biopolitique considérée comme gare de triage (Judith Butler) entre les pleurables et ceux qui le seraient moins, voire pas du tout.

Accompagné de dessins de Mark Brusse, cet essai poétique en prose est une réflexion sur notre destin d’exilé, de petit d’homme expulsé en premier lieu du giron maternel.

Nous tournons sans fin dans la nuit (Debord), tous, bien que certains plus que d’autres.

« Nous sommes arrivés ici comme des réfugiés. L’immense feu qui incendiait l’infini nous a fait fuir jusqu’ici. Nous sommes venus pour survivre et ne pas mourir brûlés. Nous sommes nés sur la terre parce que la terre était le seul endroit où nous pouvions vivre dans l’univers. Car l’univers qui explose sans cesse est invivable, tout apparaît et disparaît aussitôt sans cesse. »

La phrase de Jean-Luc Parant est entêtante, brassant un nombre réduit d’éléments (terre, soleil, temps, espace, corps…), offrant une vision quasi mythologique ou biblique de la drôle de race humaine douée de raison déraisonnable.

Nous sommes arrivés sans bagage du fin fond de la nuit, et nous avons ouvert nos yeux.

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© Mark Brusse

Le fini côtoie l’infini, nous tournons, nous laissons des empreintes, nous cherchons le jour, nous dévorons le visible.

« Tout entre dans nos yeux, bientôt nous ne pourrons plus les fermer car, ouverts, ils ne verront plus. Bientôt nous ne pourrons plus les ouvrir non plus car, fermés, ils verront encore, ils verront toujours. Ils sont éblouis. Nos yeux sont éblouis. Nos yeux ne sont pas devenus aveugles, ils sont en train de mourir. Nous sommes en train de mourir. Nos yeux se tuent sur les images, ils se cognent sur les écrans, ils s’écrasent sur les écrans, ils s’écrasent contre les miroirs, ils se brûlent ai soleil. Nous sommes en train de nous consumer. Nous avons peur de la fin du monde mais nous vivons pourtant chacun la fin du monde. »

Nous sommes touchés, et intouchables.

Nous ne nous voyons pas, et cherchons à tâtons notre propre regard, ce qui peut s’appeler l’art, la folie, le vertige.

« On nous ment, on ne sera jamais originaire d’un endroit sur la terre car nous venons de la lumière qui surgit de l’obscurité sans fin qui nous entoure, dans l’infinie nuit qui nous contient tous et où brillent tous les soleils. »

Nous sommes fendus, poreux, ouverts, ici et là, partout ici (Alain Jouffroy).

« Nos yeux dont nous ne voyons pas la plus infime partie et avec lesquels nous voyons nous montrent bien que l’obscurité la plus grande est devant nos yeux et que nous ne voyons toujours rien. »

Nous ne voyons pas l’autre, la main, l’arme baissée le temps d’un rêve de baiser.

Nous sommes morts, nous mourons, nous nous réveillons, boule de feu, froide et incandescente.

En postface, Marielle Macé d’écrire : « Poème d’univers donc, de réfugiés de l’univers, reposés nulle part, entourés de nuit. Et poème répétant, redisant, parlant sans peur. Course toute en roulis, qui retombe, et tourne, et fait éprouver avec beaucoup de clarté son propre vertige, tournoiement d’astres, d’yeux et de bouches. »

Oui, nous sommes nés jetés.

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Jean-Luc Parant, Nous sommes tous des migrants, dessins de Mark Brusse, lecture de Marielle Macé, propos de Kristell Loquet, L’Atelier contemporain, 2019, 96 pages

Editions L’Atelier contemporain

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