
« Que l’interprétation des faits est aussi une question d’état d’esprit. »
Après Good Morning Montreuil (2015), Les chroniques de Montreuil est le deuxième livre aux Editions de Juillet de Jean-Fabien Leclanche.
C’est un récit en huit textes et images racontant le quotidien de cette ville de la banlieue rouge, jusqu’à la rencontre du chantier du Grand Paris, dont peut on craindre qu’il ne redéfinisse par le bas des logiques calculantes les contours du vivre-ensemble.

Les chroniques de Montreuil est un livre d’habitants et de territoire, de mémoire et de mystère, le carambolage entre une vieille 504 Peugeot et un commerce d’alimentation générale tenu par un Pakistanais sur une route à peu près déserte une nuit de demi-lune.
« Montreuil est pleine de contradictions. C’est un trompe-l’œil que chacun peut lire selon sa propre grille. »
L’histoire commence avec une caravane et se termine avec le portrait d’un chien extralucide, sorte de double de son maître, le photographe errant.

Le temps est dégueulasse, on est avec les gitans du coin, et les rockers amis de Johnny, et la déglingue comme mode de vie, qui est plus qu’un effet de l’épuisement des économies, mais une éthique.
L’immeuble années 1950 est tagué, on pourrait être près de la gare de Bamako, ou plus simplement à Paris Est Montreuil.
C’est la belle et doulce France ici, Monsieur, Madame, multiculturelle, multipolaire, fille de Victor Hugo et de Patrice Lumumba, premier Premier ministre assassiné de la République démocratique du Congo.

Tu souris comme un riff de guitare, tu as le visage éternel des enfants du peuple, vif, taquin, vrai.
Haut fourneau abandonné et chicha.
Usines effondrées et bibliothèque sonore ouverte à tous – financée par le Lions Club, tout arrive.

Des punks et de rebeus.
Des blousons noirs et des carcasses de voitures brûlées dans des arrière-cours.
Montreuil s’embourgeoise, la CGT n’y reconnaît pas ses petits.

Rue de Paris, passent les fantômes de Thibault Cuisset et Jean-Christophe Bailly (livre chez Filigranes en 2004), parce que la ville aspire tout ce qui bouge pour en faire de la matière brute.
Des chiffres : « Cent sept mille habitants, quatre-vingt dix nationalités, cinquième ville d’ïle-de-France, seconde capitale du Mali. »
Les artistes s’y installent, beaucoup de photographes y trouvant des ateliers de belle surface – mais que fait la mairie d’un tel trésor ?

Montreuil, nouvelle Berlin ? Peut-être, parfois, de temps en temps.
Jean-Fabien Leclanche la voit comme une peinture réaliste, en magnifiant les traits, les visages, les amoncellements de marchandises, le chaos organisé.
Entre hymne, apprentissage et apprivoisement d’un territoire indocile, Les chroniques de Montreuil dit ses doutes, ses enthousiasmes, son égarement.

La sensation de vie est énorme, sur un marché, dans un bar, dans la rue.
Le village prend parfois feu, fils de la Révolution française, des apéros géants et des besoins impérieux d’égalité.
Montreuil peint, se représente, tague, prend possession des espaces.

Montreuil trafique, se malmène, se blesse, mais explose de joie et devient folle quand l’équipe de France de football devient la meilleure du monde.
Et puis arrive le Grand Paris, ce loup portant, selon les mots de Jean-Fabien Leclanche, le masque de l’agneau.
Montreuil perdra-t-elle son âme ? Les associations seront-elles assez fortes pour préserver l’indemne face au turbo-capitalisme et la novlangue adminstrativo-immobilière ?

Pour l’instant, c’est encore la saison des pêches, des circassiens, des insomnies.
Et c’est toujours l’urgence sociale.
C’est la fraternité et les couteaux tirés.
C’est un bouillon d’humanité.
C’est la persistance d’un monde dans le démonde planétaire.
Jean-Fabien Leclanche, Les chroniques de Montreuil, Les Editions de Juillet, 2019, 144 pages – 105 photographies
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