
Nous sommes dans une Amérique ruinée, effondrée, oubliée.
Nous sommes du côté du comté de McDowell, dans l’Etat de Virginie-Occidentale.
Nous sommes avec des enfants abandonnés, ensauvagés, sans autres repères que ceux de la déréliction d’un territoire minier autrefois prospère.

Louise Honée – colauréate avec Charlotte Mano du prix HSBC 2020 – les photographie près de chez eux, dans les bois, du côté des terrains de jeux, dans le car scolaire.
Ses images sont en noir et blanc, non comme un effet de nostalgie, mais comme une volonté de montrer la noblesse des lieux et des personnes au-delà du désastre, ce choix esthétique créant une unité d’espace et de d’humanité dans la déglingue des jours.
C’est aussi une entrée possible dans le merveilleux existentiel et le conte, de qui semble d’abord subir plus qu’il ne s’autorise à créer.

Il y a des murs lépreux, des édifices éventrés, et la grâce butée des enfants, avenir désirable si l’obésité et les divers empoisonnements par le maléfice industriel ne les détruisent pas très vite.
Les serpents ont envahi la ville, il se pourrait bien que leur morsure soit un châtiment divin.

Je suis une petite fille noire, regardez mon squelette, j’ai déjà disparu.
Je suis une maison hantée envahie par le lierre.
Je suis une bande de garnements turbulents et comiques.
Je suis un monstre de fer agonisant tristement.

La vie est ici rustique, frustre, sûrement désespérante, mais Louise Honée cherche bien moins à montrer frontalement le malheur qu’à s’approcher de la puissance d’une nature reprenant ses droits, de la singularité des corps, de la profondeur de mystère inhérent à chaque visage.
Même le chien attaché à sa niche paraît mélancolique, quand tant d’autres l’auraient shooté dans sa rage d’aboiement.

Tout est silencieux, calme, pudique.
Les souffrances ne se disent pas, mais on les devine.
We love where we live, semblent-ils dire avec la photographe hollandaise intitulant ainsi son ouvrage, peut-être sans l’ironie que nous croyons y percevoir d’emblée.

Epousant les contreforts des Appalaches, c’est le comté de MacDowell, l’un des plus doux et des plus beaux endroits du monde, s’il n’était aussi l’un des pires, délaissé par Dieu lui-même.
Les petits Robinsons pouilleux n’en ont cure, qui trouveront bien un chemin parmi les ronces.
Louise Honée, We love where we live, directeur de collection Christian Caujolle, conseillère artistique et texte Fannie Escoulen, édition Jordan Alves, Editions Xavier Barral / Prix HSBC pour la Photographie, 2020
