Les ombres errantes du peintre Léon Spilliaert, par Stéphane Lambert, écrivain

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C’est le genre de livres qui m’enchante, dense sans être assommant, cultivé mais de partage, associant images et textes dans un dialogue ouvert avec une œuvre de mystère.

Un essai mosaïque, une biographie araignée (à la façon d’Odilon Redon), une monographie légère concernant Léon Spilliaert, peintre ostendais (1881-1946) héritier de James Ensor et des ombres mouvantes, que se plaît à suivre dans Etre moi toujours plus fort (Arléa) Stéphane Lambert, auteur remarqué de Avant Godot (2016) et Visions de Goya (2019) parmi plus d’une vingtaine de titres depuis 2002 (des romans/récits, des essais sur l’art, de la poésie, des entretiens/reportages).

Léon Spilliaert est un peintre symboliste, ayant fait du silence et de l’angoisse le terreau premier de son œuvre, avant qu’une forme de stabilité dans le bonheur conjugal et les amitiés ne semble ternir, voire affadir, son besoin de création.

Tout commence par le noir, la peur, l’étrangeté de la moire d’une mer létale. Mer du Nord, mer de mort, Armor.

En de courts chapitres, Stéphane Lambert développe ses intuitions, entre en conversation, imagine des scènes. Le peintre qu’il approche est une énigme de formes, de traits et de couleurs, mais c’est aussi un mystère de mots, un cri étouffé dans la liquidité des phrases, quand l’un se fait l’autre.

« Où cela va-t-il me mener ? Chaque nuit je réécris les jours, et chaque matin est un champ dévasté – je me réveille comme un noyé rejeté par les flots. Chaque jour je dois recomposer le monde. A croire que les paysages du Nord m’empêchent d’habiter le pays… Ce n’est pas que je crains le bonheur : la nuit pèse trop lourd, voilà tout. Dès l’aube, je refais mon lit, comme un forcené qui cherche à effacer les traces de son délit, m’appliquant à lisser le moindre pli. »

Vocation ? peintre, écrivain, brasseur de mélancolie.

Quelles différences d’ailleurs entre le pinceau et le stylo, le rêve et la réalité, quand souffle la tempête soulevant la mer ?

Spilliaert peint son enfermement, géométrise sa solitude.

Le libraire bruxellois Edmond Deman : « J’ai tout de suite été frappé par son physique. Non pas qu’il fût d’une beauté remarquable, mais il se dégageait de lui une telle intensité qu’on ne pouvait qu’en être troublé. »

Lecteur de Nietzsche, le peintre se meut dans l’inactuel, véritable ordre du contemporain traversant les siècles.

Un faune danse, attirant à lui les caprins, c’est un artiste surpris à l’instant du sabbat.

A Ostende, il y a le casino et le camping Cosmos, de nobles arches et des cafés populaires, du sable et du vent.

Et des perspectives vides où traînent des fantômes.

Il y a des bateaux échoués et des aubes utérines, des forêts de squelettes et de nobles dames attendant l’amour.

« Dans l’épaisseur du monde, il y a un mystère – ou rien. Pile ou face, en fonction des heures. La mer envahit le living-room. Du bout de l’horizon, s’écoule une écume blanche que mes yeux absorbent dans un mélange de joie et de tristesse. Y a-t-il une frontière entre nos sensations ? »

En 1909, Spilliaert peint Brise-lames au poteau.

Ce pourrait être une route dans le désert américain, ou un plan dans un film d’Antonioni.

C’est une abstraction, une œuvre de silence, un chemin intérieur menant vers un horizon brisé.

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Stéphane Lambert, Être moi toujours plus fort, Les paysages intérieurs de Léon Spilliaert, Arléa, 2020, 128 pages

Editions Arléa

Site de Stéphane Lambert

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Se procurer Etre moi toujours plus fort

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