
J’ai découvert le travail artistique de Frédéric Dupré grâce à Serge Airoldi, auteur notamment d’une très belle réflexion sur les couleurs avec Rose Hanoï (Arléa, 2017).
S’il fallait s’approcher par cercles concentriques critiques et comparaisons de cette œuvre graphique vertigineuse, borgésienne peut-être, j’envisagerais la rencontre dans une camera obscura de Piranese et du peintre russe Mikhaïl Scharzmann.
Il faut imaginer des structures de bobinages, de poulies, de faisceaux de lumières, des lignes de sens, des corridors intérieurs.

On peut songer aux machines désirantes de Gilles Deleuze et Félix Guattari.
Frédéric Dupré dessine des inconscients machiniques, des appareils de projection, des souricières où désespérer les plus raisonneurs, ou ratiocineurs.
F. D., c’est Henri Michaux jouant Shakespeare dans une cathédrale gothique désossée.

Mais pour le présenter, chers lecteurs de L’Intervalle, il y a sûrement plus compétent, savant, informé que moi.
Il y a Jean-Luc Nancy : « Frédéric Dupré dessine le bref moment du retournement, l’instant où le pont aperçoit de manière distincte et confuse distinctement confuse sa propre arcature et tout son dessein : le plan, le projet, l’étude et le calcul qui ont permis la tenue de l’arche l’enjambement de l’abîme. »
L’ami de Derrida, auteur en 2007 de Le plaisir au dessin (sur Jean Le Gac, Valerio Adami, Pierre Alechinsky, François Rouan, Vladimir Velickovic, Gérard Titus-Carmel, Ernest Pignon-Ernest) appelle struction, non « une absence d’ordre », mais « une ordonnance sans principe ni fin. Cela peut se prêter à des opérations mais n’en désigne aucune. »

L’écrivain et philosophe Tristan Garcia le commente aussi ce qu’il nomme ses « boîtes vides » : « Il est vrai que ça ressemble à des rebuts de manuel technique pour meubles en kit, trouvés par un archéologue du futur après l’apocalypse. De temps en temps, comme des aiguilles de rituel vaudou plantées dans une face d’une chose vue en coupe, les flèches d’une légende inexistante. On ne sait plus à quoi ça sert, si tant est qu’on ne l’ait jamais su. »
Dans une époque obsédée par la fabricabilité (Heidegger), entièrement soumise à la pensée calculante, les systèmes dessinés de Frédéric Dupré échappent au contrôle des normopathes : ce sont des fantaisies très élaborées, des fantasmes où se perdre, des damiers intrépides pour ingénieurs ayant balancé leurs diplômes au fond d’un puits.
Frédéric Dupré, Papiers tombés, Labyrinthes & Métamorphoses – Volume I, préface Jean-Luc Nancy, textes Tristan Garcia, Editions Le Pli, 2018