« L’être humain est au fond un animal sauvage et effroyable. Nous le connaissons seulement dompté et apprivoisé par ce qu’on nomme la civilisation ; voilà pourquoi nous nous effrayons des explosions occasionnelles de sa nature. Mais quand le verrou et la chaîne de l’ordre légal sont tombés et que l’anarchie apparaît, alors il montre ce qu’il est. »
Il y a du sublime dans l’insulte considérée comme un des beaux-arts, et beaucoup de ridicule menant au comique involontaire.
Le génial Arthur Schopenhauer (1788-1860) est admirable, qui adorait les chiens et prenait la défense des faibles créatures, mais aussi détestable, qui méprisait ouvertement les femmes, et quiconque lui faisait de l’ombre.
La vivisection l’horrifie : « Quel crime a donc commis le pauvre lapin pour qu’on le condamne à la mort lente par la faim ? (…) Le pire, c’est que l’on prend le plus souvent pour la vivisection l’animal qui l’emporte en noblesse morale sur tous les autres : le chien. » / « De nos jours, chaque médecin se croit autorisé à pratiquer dans sa chambre de torture les plus affreux tourments contre les animaux, en vue de résoudre des problèmes dont la solution se trouve depuis bien longtemps dans les livres, où sa paresse et son ignorance l’empêchent de fourrer le nez. Nos médecins n’ont plus la culture classique d’autrefois, qui leur conférait un certain humanisme et une certaine noblesse d’allure. »
N’ayant pas eu pendant des décennies le succès que son œuvre princeps, Le monde comme volonté et comme représentation (1818), méritait, la jalousie du philosophe envers ses confrères plus renommés (Hegel, Fichte, Schelling) ne cessa de s’accroître, Schopenhauer ayant également besoin de déverser sa bile noire sur toutes sortes d’autres sujets (le port de la barbe, les Allemands, les Américains, Bonaparte, le catholicisme, Les Chinois…).
Les Américains : « Le caractère propre de l’Américain du Nord, c’est la vulgarité sous toutes ses formes : morale, intellectuelle, esthétique et sociale ; et non pas seulement dans la vie privée, mais aussi dans la vie publique : elle n’abandonne pas le Yankee, qu’il s’y prenne comme il voudra. »
Les Français : « Les autres parties du monde ont des singes ; l’Europe a des Français. Cela se compense. »
Les éditions Arléa publient aujourd’hui le savoureux et insupportable Aphorismes et insultes, propos essentiellement tirés d’un ouvrage tardif, Parerga et paralipomena.
S’élevant contre le bigotisme des peuples, Schopenhauer s’écrie : « Veux-tu voir de tes propres yeux et de près ce que produit l’inoculation précoce de la foi ? regarde les Anglais. »
Parce qu’ils sont arrogants, cruels, menteurs, hypocrites et n’avancent que masqués, l’auteur de Le fondement de la morale (1879) préfère aux hommes les animaux : « Voyez la façon scélérate dont notre propre populace chrétienne se comporte avec les animaux. Elle les tue sans la moindre raison, et en riant, ou les mutile, les martyrise ; et même ses aides immédiats, les chevaux, elle les éreinte à l’extrême dans leur vieillesse pour tirer la dernière moelle de leurs pauvres os, jusqu’à ce qu’ils succombent sous ses coups de fouet. »
« Le plus grand bienfait des chemins de fer est d’empêcher des millions de chevaux de trait de mener une déplorable existence. »
On se souvient de Nietzsche succombant à la folie à Turin, après avoir vu un cocher battre à mort un cheval.
« Les coups de marteau, les aboiements des chiens et les cris d’enfants sont épouvantables ; mais le véritable meurtrier de la pensée est le claquement du fouet. »
Le plus grand défaut de Spinoza ? « Il semble n’avoir pas du tout connu les chiens. »
L’enfer, c’est les hommes.
D’ailleurs, « s’il y avait un Dieu, je n’aimerais pas être ce Dieu, la misère du monde me déchirerait le cœur. »
Arthur Schopenhauer, Aphorismes et insultes, textes choisis et présentés par Didier Raymond, Arléa, 2020, 144 pages