© Anne-Lise Broyer
« Le phalène nocturne vole, ailé d’amour, vers l’ampoule électrique. » (Le Roi des aulnes, Michel Tournier, 1970)
Avec une fine couture centrale laissant pendre deux fils en dehors de son corps, Le chant de la phalène (oraison), d’Anne-Lise Broyer, fait songer à un lépidoptère.
Dans une très belle gamme de gris ayant bénéficié du double talent de Guillaume Geneste et de son associé Guillaume Fleureau (tirage/reproduction des photographies dessinées), ainsi que de celui de Clément Regard pour la photogravure, ce bel ouvrage antispectaculaire est une ode de délicatesse aux sous-bois, aux taillis, aux futaies, mais aussi aux insectes et invisibles qui les peuplent.
© Anne-Lise Broyer
© Anne-Lise Broyer
La photographe accompagnée du petit garçon observe, respire, s’enivre du peu, du tout, oubliant les maléfices du temps socialement organisé, promeneuse contemplée par une nature protégeant ses secrets.
L’enjeu est ici celui de la présence, de l’ouverture, de l’accueil, du renversement du regard, de la métamorphose.
Jusqu’où ira-t-on dans l’abandon et le dénuement ?
© Anne-Lise Broyer
Jusqu’où serons-nous capables de basculer dans la révolution intérieure, jusqu’à quels troubles ultimes, jusqu’à quelles levées des voiles ?
Des arbres frémissent, le vent est étrange, qui agite de façon étonnante un bosquet.
Bien sûr, en ces lieux préservés du Domaine de Kerghénnec, dans le Morbihan, où l’artiste était en résidence, reposent des dieux, légers et puissants.
© Anne-Lise Broyer
Aux cœurs purs, aux plus humbles, aux va-nu-pieds, aux nobles fils de famille ayant choisi le chemin de la charité, ils se manifesteront peut-être.
On entend un cri, un sacrifice a lieu, non loin de là, à quelques centaines de kilomètres, dans la forêt de Marly.
Le sang a coulé, absorbé par la terre.
© Anne-Lise Broyer
© Anne-Lise Broyer
Tout est calme maintenant, sans drame, même et autre.
Dans son atelier, Anne-Lise Broyer s’est penchée sur un bouquet de fougères, dessinant à la mine graphite sur un tirage argentique.
La photographie elle-même a muté en un volume très doux, acceptant une sensualité nouvelle.
© Anne-Lise Broyer
Le critique discourt, dialogue, essaie de ne pas trop froisser les feuilles d’une organisation végétale complexe et hautement sensible, à l’écoute lui aussi des rumeurs inouïes.
L’artiste compose, agence, ordonne, orchestre des silences, tel Florent Motsch écrivant sa partition en entendant les sons – quelques pages de son œuvre El Beso sont reproduites.
Il y a des traits, des intervalles, des accords de signes, la logique d’une musique s’accordant avec la forêt qui la borde.
© Anne-Lise Broyer
« Tout y est en ce Domaine, écrit Suzanne Doppelt, un extrait décalé du monde, les chênes les hêtres les frênes les aulnes etc. un ensemble de solitaires, les formes et la matière, le silence avec l’immobilité, une suite filtrée par l’œil et la lumière, tout y est visible comme l’est une quelconque apparition, on la reconnaît à sa façon d’être, presque un effacement ou alors une folle présence. »
Je souhaiterais habiter un lieu, confie Anne-Lise Broyer à Olivier Delavallade, qui l’a invitée.
Habiter le vivace et le bel aujourd’hui.
© Anne-Lise Broyer
Habiter en oraison, en prière, en fantôme de fantôme, comme une Japonaise frôlant de sa robe de soie le sol dans un récit de Nicolas Bouvier.
Je pourrais vous épouser, vous aussi, vous êtes si discret.
Le chant de la phalène est une vibration intérieure, une palpitation ample, entre présence et absence, absence et présence.
© Anne-Lise Broyer
Un autoportrait au fusain dessiné sur une aile de papillon.
Anne-Lise Broyer, Le chant de la phalène (oraison), partition de Florent Motsch, textes de Suzanne Doppelt et Olivier Delavallade, éditions Loco / nonpareilles / Domaine de Kerguéhennec, 2020