
Au début du Second Empire, Gustave Le Gray (1820-1884), plus jeune de quelques années que Nicéphore Niépce et Louis Daguerre, connaît un succès exceptionnel, avant de devoir quitter la France en 1859 pour l’Egypte, sous le poids des dettes.
Inventeur de procédés remarquables (notamment le collodion sur verre et le négatif sur papier ciré sec), il n’eut de cesse de travailler pour la reconnaissance de la photographie comme art majeur.

Il écrivait en 1852 : « J’émets le vœu que la photographie, au lieu de tomber dans le domaine de l’industrie, du commerce, rentre dans celui de l’art. C’est là sa seule, sa véritable place. »
On se souvient de ses vagues sublimes, faisant de lui, qui fut aussi peintre et graveur, l’équivalent d’un Hokusaï français.
De fait, les impressionnistes ne s’y trompèrent pas, qui virent en lui une profonde source d’inspiration.

Alphonse Delaunay le portraiture en 1854 : à n’en pas douter, cet homme subtil tenant un porte-cigarette en faisant la grimace, chevelure léonine dégagée sur le front, est fou.
On ne peut que l’aimer immédiatement.
Qu’il photographie des vapeurs, des ponts, des façades de cathédrales, des dolmen ou des phares, l’artiste exceptionnel né à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) s’intéresse aux transports, qu’ils soient physiques et/ou émotionnels.
La forêt de Fontainebleau qu’il aime immortaliser est plus qu’un espace naturel, c’est un territoire mystique.

Gustave Le Gray aurait pu être notaire, ce qui est bien, mais il y avait mieux pour lui que le cadastre, la grandeur du médium moderne.
Ayant formé son regard au contact de la peinture, notamment lors d’un séjour de plusieurs années en Italie, le photographe comprit la nécessité de ne pas se cantonner au daguerréotype, non reproductible, pour la science du tirage sur papier, dont il devint un maître.
Le sujet certes, mais surtout la sensation d’art, jusqu’aux lisières de l’abstraction quelquefois.
Gustave Le Gray, Nu féminin debout, vers 1856 © Clark Institute |
La lumière, les jeux d’ombres sont les protagonistes principaux de ses photographies.
S’il montre Palerme au moment où les troupes de Garibaldi s’en sont emparées, en juin 1860, son regard s’attarde sur les ruines comme motif structurant, questionnant le temps lui-même bien plus que l’Histoire en cours.
Son Coin de jardin avec râteau (1851-1853) n’a rien de grandiloquent, c’est un éloge du simple, de l’harmonie, et du plaisir de la composition.
Ses photographies égyptiennes indiquent la puissance d’un autre monde, d’un autre rapport au temps, à la lumière, à l’environnement.
Ses nus, peu visibles, sont très touchants : les chairs et poses de ses modèles ont la beauté de vagues humaines.

Le monde s’est retiré, nous ne le voyons plus que sous l’angle du crime, ou du virus.
Le Photo Poche n°163 le rétablit dans le miracle de sa présence et son atemporalité.
Catherine Riboud présente ainsi l’immebse pionnier de la photographie française : « La constance de sont style, de ses goûts, de ses exigences et de ses sujets, si contraire aux lignes brisées de sa vie, a été l’un de ses secrets. Il n’a jamais oublié les leçons de peinture de Paul Delamarche, ni celles du Louvre et de Rome. Il gardait toujours cette distance qui lui permettait de composer, de mettre un ordre dans le désordre du réel, d’éliminer l’inutile. »
Gustave Le Gray, introduction de Catherine Riboud, Photo Poche, n°163, 144 pages – 64 photographies reproduites en noir & blanc / notices biographiques et bibliographiques