© Christian van der Kooy / The Eriskay Connexion
Anastasiia, du photographe hollandais Christian van der Kooy, est un livre éminemment touchant, d’une douce et déchirante mélancolie.
Il narre en un double régime d’images – des captures d’écran lors de conversations ayant lieu par Skype, et des photographies documentaires prises entre 2009 et 2016 – le bel amour entre une Ukrainienne et son amant étranger au moment où, peu après la révolution de Maïdan accentuant le rattachant du pays à l’Europe, les frontières de l’Ukraine sont redessinées, la Russie annexant la République autonome de Crimée en mars 2014.
© Christian van der Kooy / The Eriskay Connexion
L’amour dure deux ans, la politique est interminable.
En vignette, la belle Ukrainienne apparaît, accompagnée de ses mots, sur fond rose ou bordeaux, alors que défilent les représentations d’un pays hésitant entre modernité et tradition, kitsch des nouveaux bâtisseurs et structures ataviques, argent facile du capitalisme et fruit du labeur dans une société communiste, envie de consommation et peuple bon enfant.
© Christian van der Kooy / The Eriskay Connexion
Les diptyques mettent en tension l’intime et la marche de l’Histoire, corps de sensibilité et logique nationale, voire supranationale.
Coup de foudre et électrochoc.
« I’m feeling very happy and very lonely, simultaneously. »
© Christian van der Kooy / The Eriskay Connexion
Anastasiia est une fille de l’Est, dont l’ovale du visage et la pureté des traits charment immédiatement.
Chaque apparition est une nouvelle variation de la nymphe, un autre angle sur sa bouche, ses yeux, sa chevelure, son épaule, la courbe de ses seins, ses fesses, pudiquement, érotiquement.
L’idylle s’approfondit alors qu’à Odessa, ou au bord de la mer Noire, les vacanciers profitent du soleil, non loin du défilé des soldats.
© Christian van der Kooy / The Eriskay Connexion
Un parc d’attraction, des habitats modestes, une datcha ruinée, une impression de suranné devant les navires rouillés mouillant là depuis une éternité.
Composé jusqu’à l’obsession des portraits de l’Ukrainienne – parce que l’amour est réitération, impatience, désir brûlant -, Anastasiia montre aussi les visages de la jeunesse d’un pays ayant choisi la voie de la société de marché.
Une employée municipale récure au balais la place de la Révolution, l’envie de vivre est immense.
© Christian van der Kooy / The Eriskay Connexion
Le fleuve a gelé, les appartements sont flambants neufs, la lumière renoirienne indique l’avenir.
Anastasiia s’est dévêtue, son amant la regarde longuement, alors que dehors les bulldozers refaçonnent un pays où il fait bon habiter.
Ce livre sans tonitruance porte une grande noblesse, une foi en l’amour – éperdu/perdu -une grâce.
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Il n’est pas ironique, ou frontalement violent.
Le sourire de l’ange de Reims, ou de Kiev, en auréole chaque page.
Christian van der Kooy, Anastasiia, She folds her memories like a parachute, design Rob van Hoesel, The Eriskay Connection (Pays-Bas), 2018, 160 pages – 750 exemplaires
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