Bernard Plossu © Thierry Valletoux
Sur les centaines d’ouvrages photographiques paraissant chaque année en France – un millier peut-être avec l’autoédition -, quels sont ceux qui véritablement nous font vibrer, changent notre vie, et que nous emporterions sur une île déserte ?
Dans son deuxième numéro – magnifique travail -, la revue Like se propose, en interrogeant auteurs, éditeurs, galeriste, imprimeur, libraire, de faire un état des lieux d’un secteur en constante expansion, pour un nombre de lecteurs passionnés grandissant, mais encore relativement restreint.
Lorsqu’on aime la photographie, ce numéro lève l’enthousiasme. Les journalistes ont beaucoup travaillé, ce n’est pas toujours le cas.

Valse des noms, des propos, des propositions.
Paroles d’un pionner, Christian Caujolle, créateur en 1986 de l’agence VU’, revenant sur la discordance entre abondance éditoriale et difficultés de diffusion, mais aussi sur le bonheur de d’accueillir entre ses mains le regard d’un autre : « Il est intéressant de voir comment des photographes aussi différents que Raymond Depardon ou Antoine d’Agata multiplient les publications, alors que d’autres, comme Michaël Ackerman publient peu, passent des années sur une maquette et un déroulé quand JH Engström a toujours des maquettes en cours. »
Portrait d’André Frère en « moine-soldat », petit-fils et fils d’imprimeur de Tourcoing, éditeur et président de l’association France Photobook : « A la fin des années 1990, début des années 2000, on tirait facilement à 1500, 2000 exemplaires, la diffusion/distribution fonctionnait bien, c’était vraiment confortable. Aujourd’hui, avec des photographes émergents, lorsque nous avons vendu 300 exemplaires en librairie, nous sommes très heureux. La librairie n’a plus les moyens de suivre, le livre de photographie coûte cher à l’achat, tout comme le livre d’architecture ou le livre d’art, et donc immobilise trop de trésorerie. »
Clémentine de la Ferrronnière © LIKE
Voyage de vingt pages éblouissantes avec Bernard Plossu, épuisant la logique restreinte de curriculum vitae par sa liberté, ses constants déplacements, sa générosité. Ses héros ? Balzac, Corot et Jimi Hendrix. Sa tentation constante ? Le sol, le départ, et le pas de côté : « Je comprends très bien Koudelka quand il fait un autoportrait de ses pompes… C’est exactement ce que je ressens quand je vais marcher. La clé de ma vie américaine, c’était mes chaussures. Et un chapeau… » Vœu (pieux ?) : « Ce que j’aimerais bien, maintenant, c’est arrêter les vernissages. Je ne sais pas comment expliquer aux gens qu’ils auront une meilleure soirée en voyant l’expo sans l’auteur, plutôt qu’en sa présence. Pour moi, c’est devenu problématique car lors d’un vernissage, il y a tous les gens que tu dois voir, et il y a les amis présents avec qui tu n’as jamais le temps de discuter. Donc, systématiquement, je repars cruellement humilié de ne pas avoir pu voir mes copains. Quel tiraillement. Depuis peu, j’ai trouvé un moyen de « vernir » plus agréablement : désormais, après un vernissage, je pars seul et je vais dîner seul. Car après avoir parlé à 50 personnes ou 200, j’ai besoin de me retrouver tout seul. »
En utilisant un appareil thermique, Antoine d’Agata a rendu compte du confinement en des images évoquant les limbes (livre sidérant à venir aux éditions Vortex – 840 pages) : « La réalité, autour de moi, prend l’apparence apocalyptique que je lui ai toujours prêtée. Je finis par obtenir les autorisations pour entrer dans les hôpitaux, les services de réanimation. (…) J’ai réalisé 6500 photos dans les rues de Paris et autant dans les services hospitaliers. »

La photographie pour d’Agata (son entretien relève de la puissance du tragique ) ? « Je me suis débarrassé depuis longtemps de tout discours qui tenterait de définir ce qu’est la photographie. Le cadrage, la lumière, la vitesse sont des paramètres qui relèvent de, ou qui définissent une esthétique. Les enjeux sont ailleurs, dans la dimension expériencielle de toute prise de vue, dans la dimension de sacrifice, dans la tentative désespérée de toucher à la cruauté de l’existence, dans ce qui tient de la peur et du désir au creux du geste photographique, de chacun de nos actes, aussi futile soit-il, aussi inconséquent qu’il puisse paraître et absurde. »
Et : « J’ai toujours puisé ma force et mon inspiration dans la littérature, pour m’appliquer ensuite à vivre à hauteur de la littérature, à mettre ces mots en pratique. La photographie est advenue comme l’ultime recours possible pour tenter de donner une forme à mon histoire de vie. Mon inspiration n’est jamais photographique. Ce qui m’anime est un impossible que seule la fiction permet de contempler. »
Suivent des articles sur les éditions Maison CF (Clémentine de la Féronnière) et leur imprimeur grenoblois Renaud Caillat (Manufacture d’Histoires Deux-Ponts) – alors que 80 % des quarante éditeurs photo en France font imprimer leurs livres à l’étranger -, sur le photographe Thomas Sauvin et ses livres-objets d’art, sur les éditions Atelier EXB (reprise des éditions Xavier Barral par sa fidèle et belle équipe), sur le bibliophile Franck Desplanques, le libraire Marc Pussemier (La Comète, à Paris), et Simon Baker, directeur de la MEP, à propos de sa riche bibliothèque.
Grande qualité des intervenants, richesse des propos rassemblés, journalistes parfaitement informés : le numéro 2 de Like est déjà une archive précieuse.
Bernard Plossu © Thierry Valletoux
Revue Like, Spécial beaux livres photos, automne 2020, n°2, 156 pages
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Thomas Sauvin © Madjaz Tancic