Les enfants, les soldats et les fous, Mettray, identités d’une revue

2013_Septembre

« Toute éducation est d’abord une éducation à la joie, à la créativité et à la singularité. » (Rhizomatique, Stéphane Breton)

Je ne sais pas qui lit la revue Mettray, mais cette publication d’apparence artisanale quasi intégralement conçue par Didier Morin à Valréas, dans le Vaucluse, est excellente.

Le dernier sommaire (numéro de septembre 2020) fait picoter les yeux : correspondance entre Bernard Noël et Bernard Plossu, un entretien avec Elias Sanbar, des textes de Jean Genet, Alain Bergala, Philippe Gandrieux, René de Ceccatty (sur Pasolini), Eric Rondepierre (sur la violence inhérente aux orphelinats, maisons de correction, et pensionnats peuplés d’ombres errantes  ), Benjamin Fondane, un dossier sur l’artista povero Pierre Lucerné (Marie Charoy, Patrick de Haas, Emilia et Gabrielle Stocchi, Didier Morin, Christian Prigent, Jean Dubuffet, Onuma Nemon, Valère Novarina, Jean-Luc Parant)…

Que demande le peuple ?

Alertez les bébés.

Mai, mai, mai, Paris, mai.

Bernard Noël à son ami Bernard el Fotographo : « J’ai pu, pendant cinquante ans, me tenir à l’écart du commercial, je crois que c’est fini parce que la vente des livres « difficiles » s’effondre. Quelques centaines de lecteurs, cela ne permet pas de vivre et les commandes se font rare. » / « Où es-tu ? Toujours en train de regarder ailleurs et de métamorphoser le visible en Plossu. J’espère qu’il s’en suit du bonheur. » / « C’est évident : tu réussis à changer le monde alors que ceux qui appellent ce changement demeurent impuissants. »

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Défense de la Palestine avec les Indiens Jean-Luc Godard et son ami Elias Sanbar (ambassadeur délégué permanent de la Palestine auprès de l’Unesco depuis 2006), se rencontrant dans une conversation infinie, à travers la vie et les projets filmiques, notamment Notre musique (2004), et le don du film Le Livre d’image (2018) au futur musée d’art moderne et contemporain de Palestine, dont la construction est prévue dans la capitale naturelle de Jérusalem Est.

Elias Sanbar reprend Didier Morin à propos d’une question sur la réception par « les » Palestiniens de ce dernier film peu montré comportant dans sa dernière partie une sorte de rêverie sur le monde arabe inspirée d’un livre de l’écrivain égyptien installé à Paris Albert Cossery : « Vous devriez remplacer « les » Palestiniens par « des » Palestiniens. »

Et : «   C’est un grand film. Mais bon, cela dit, il faut que vous sachiez une chose quand même. Il y a heureusement eu cette installation aux Amandiers, à Nanterre, où le son passait comme il le fallait, comme il avait été travaillé. Parce qu’il y a eu un travail inouï sur le son. »

Alain Bergale analyse cette œuvre « composée pour l’essentiel de plans prélevés dans le musée imaginaire de Godard » : « Dans Le livre d’image, c’est moins avec ses yeux que Godard voit es images qui remontent à la surface de sa conscience qu’avec sa mémoire visuelle « interne », et son rêve de film en formation mouvante, images beaucoup plus floues, déformées, même si dans un autre temps il les a vues et bien vues avec ses yeux. »

Lire également à ce propos le texte magnifique de Benjamin Fondane, auteur notamment de Rimbaud le voyou (1933), Le poème cinématographique (prolongé par une étude d’Olivier Salazar-Ferrer sur le film disparu de Fondane, Tararira) : « C’est pour avoir voulu trouver une sortie à la condition humaine que le poème du cinéma a commencé par être vide, pour être inhumain : l’homme nous empêchait de voir l’homme. (…) Quoi que vous fassiez, la poésie est là, elle vous annonce et vous précède. L’homme est un animal que la poésie détruit. » »

Apparaissent le visage du confesseur Artaud contemplant Falconetti-Jeanne d’Arc dans le film de Dreyer (1927), des couvertures de livres choisies par Stéphanie Serra, un dessin de Pasolini datant de 1942 (Susanna addormantata) inspiré d’un lavis de Rembrandt (1654) commenté par René de Ceccatty.

Les temps se télescopent : 2020, 2006, 2004, 1942, 1933, 1927, 1654, et aujourd’hui avec Philippe Gandrieux dans un court texte jouant « à la petite souris », une fantasmagorie de Marc Graciano, et Emma Cambier intitulant sa fiction : « La pute aux sandwichs ».

Texte de l’ésotéricien Constant Candelara : « A l’étude finalement du dernier de ses taxons aura été, d’une libellule, l’ocelle : cryptique, familière de choses bizarres que nous ne voyons pas… esprit de l’antique Aegyptus… ne faisant pas que naisse l’embryon… Maintenant il réside dans mon cœur »

Cécile Bargues, célébrant le regretté dadaphile Marc Dachy (revue Luna-Park, merci Sandrick Le Maguer) et le « perdant magnifique » Roberto Bolaño : « Roberto Bolaño savait le poids du désespoir, les massacres, les échecs et les désastres du vingtième siècle irriguent ses livres. Retourné au Chili « pour construire le socialisme », comme il écrivait non sans ironie, il avait été brièvement jeté après le 11 septembre dans les prisons de Pinochet, exilé en Europe il avait fait un peu tous les métiers, plongeur dans les restaurants, gardien de parking, gardien de camping vers Barcelone (épisode qui donne lieu à des pages éclatantes dans Les détectives sauvages). »

La plasticien Jean-Luc Parant clôturant le dossier Pierre Lucerné écrit l’adverbe « entièrement ».

Tel est bien le mot résumant l’ambition de la revue Mettray : qu’il n’y ait pas de restes, que la culture soit vive, que tout concorde, questionne, et défende l’esprit quand la barbarie est une hydre insatiable.

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Jean Genet sur le montage du film Jean Genet, une vie en marge, de Antoine Bourseiller, dans la série Témoins, 1981

Revue METTRAY, couverture Pierre Lucerné, photo Marie Charoy, responsable de la publication Didier Morin, assistante d’édition Donia Lakhdar, mise en forme Victoria Vie, septembre 2020

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Revue Mettray

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