Bomarzo, d’une beauté panique, par Gilles Polizzi, essayiste, et François Sagnes, photographe

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© François Sagnes

J’ai été durablement impressionné par la lecture il y a quelques années de l’essai d’André Pieyre de Mandiargues – accompagné de photographies de Georges Glasberg – intitulé Les monstres de Bomarzo, publié une première fois en 1957 chez Grasset.

En 1954, l’auteur de La Marge visitait ce jardin de sculptures étranges et fantastiques correspondant très bien à son idiosyncrasie.

Situé dans la province de Viterbe, au nord de Rome, c’est un lieu de pèlerinage pour les amateurs de bizarreries rocheuses.

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© François Sagnes

Edifié à la demande de la famille Orsini pendant la Renaissance, ce jardin est assurément chargé de forces magiques, ésotériques, étrusques peut-être, et d’une érotique très spéciale.

Il se présente donc comme une entrée dans le mystère, que le bel essai de Gilles Polizzi et les photographies de François Sagnes, Bomarzo, Poétiques d’un jardin italien, publié chez Créaphis éditions, viennent une nouvelle fois relancer.

La gueule béante d’un monstre accueille le promeneur/lecteur, tout va bien.

Des sphinges, des termes avec vase, Isis,  un putto, des lions,  un nymphée, des dauphins, une nymphe endormie, Hermès quadrifons, Cerbère, Gaïa, un dragon, un éléphant de guerre, une tortue.

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© François Sagnes

Une maison penchée.

Des jonchées de feuilles, de la mousse, des branchages, des buissons, des broussailles, une source.

Des visages, des formes anthropomorphes.

Une Sirène, ou Proserpine écartant grand ses jambes de pierre.   

Un théâtre de dévoration, l’île de vaine espérance, un bois sacré, une bouche d’illusion.

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© François Sagnes

Alors que Du Bellay écrit à Rome Les Regrets, un seigneur fait aménager un parc bizarre, que la nature enfouira, avant que les surréaliste ne le redécouvrent.

Il faut faire l’expérience du site, l’épreuve de la meraviglia, adopter cette attitude psychologique, rappelle Gilles Polizzi à l’orée de son texte, superbement écrit, du « dort-veille » propre aux chevaliers arthuriens décrits par Chrétien de Troyes.

Paysage d’une grotesque (André Chastel) ayant la dimension d’un sacro bosco allégorique façonné par le goût maniériste.

« La vue est irréelle. Un capriccio qui combine les Alpilles – le Val d’Enfer filmé par Cocteau – et la silhouette du château de Sade, adossé aux carrières de Lacoste. »

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© François Sagnes

Sur le territoire de l’antique Etruria, Bomarzo écrit en lettres de pierre l’énigme de son Arcadie, scénographiant ses songes, se pensant peut-être, l’hypothèse est levée, comme « un jardin cosmographique ».

On pense à l’Egypte, à des figures aztèques, au Pantagruel de Rabelais, à une totalité de figures faisant de ce jardin quelque chose comme le monde des mondes.

Il faudrait relire Le Songe de Poliphile (Venise, 1499), revoir le documentaire de Michelangelo Antonioni, La Villa dei monstri (1950), et relire les textes les plus inspirés d’André Breton.

« Le monstre, écrit Gilles Polizzi serait donc l’enveloppe d’un Mystère qui s’approfondirait du désordre et de l’inachèvement du décor. Il suffirait qu’il fasse nuit, qu’il y ait des torches et des bacchantes, pour éveiller sa dimension panique – le mot est chez Mandiargues – au sens qu’Arrabal donna à ce terme, lorsqu’il choisit de donner ce  nom à sa version moderne du théâtre de la cruauté. »

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© François Sagnes

Il y a ici alternance d’effroi et de jouissance, de sérieux et de drôlerie, une dimension carnavalesque en somme.

Mais Gilles Polizzi, distinguant l’art du jardin selon Guillaume de Machaut – lieu secret du moi amoureux -, de celui de Pétrarque – un lieu de sublimation -, évoque le passage de Vicino Orsini à Hesdin (Pas-de-Calais aujourd’hui), y ayant vu probablement l’incroyable : « Pendant deux siècles et demi, entre 1292 et 1553 précisément, il y eut en Occident un lieu unique, tant par son étendue et la complexité de ses aménagements, que par les fastes de la cour qui s’y entretint, et où se cristallisa tout l’imaginaire du jardin courtois ». 

L’ombre de Hesdin s’est donc peut-être déplacée en Italie, dans ce jardin que connaissait bien Denis Roche, et que photographie dans de très belles nuances de noir François Sagnes dans une distance à la fois objective et quelque peu stupéfaite.

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Bomarzo, Poétiques d’un jardin italien, essai de Gilles Polizzi & photographies de François Sagnes, collection Foto dirigée par Pierre Gaudin, conception graphique Pierre Gaudin et Aude Garnier, directrice de la publication Claire Reverchon, Créaphis éditions, 2016, 228 pages

Créaphis éditions – Bozarmo

François Sagnes

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