De la vitalité aux marches de la mort, par Catherine Millot, écrivain, psychanalyste

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« La mort n’a jamais tenu une grande place dans ma vie consciente. Je n’y pense guère et m’en préoccupe encore moins. Mourir au dernier moment, comme disait Céline, avec le courage et la dignité que j’ai vus aux bêtes, avec leur simplicité, voilà ce que je souhaite. »

On peut mourir chez soi, dans son jardin, un matin d’été en mangeant un croissant après avoir cueilli une framboise, c’est parfait, ou à l’hôpital, c’est plus fréquent, mais au fond peu importe, puisque le Christ prend toujours le visage du dernier venu, qu’il s’agisse d’un ou d’une aimé(e), d’un voisin de chambre, d’un infirmier, d’une interne, d’un agent de salle, d’un pompier, d’un urgentiste.

L’écrivain et psychanalyste Catherine Millot a failli mourir du Coronavirus, je ne le savais pas, et, même si nous ne nous sommes vus que quelquefois, j’aurais éprouvé à sa brusque disparition beaucoup de peine.

Je l’ai donc remerciée d’être en vie, et d’avoir écrit le si beau récit de sa confrontation avec la mort, c’est-à-dire aussi avec le désir de vie au plus intime de soi, Un peu profond ruisseau…

Ce titre mallarméen – « Un peu profond ruisseau calomnié par la mort. » – donne au petit ruisseau qu’est la vie la valeur d’un absolu.

Soudain, le confort se brise, il faut appeler SOS Médecin, il n’y a que le temps de jeter quelques livres dans son sac (des Dostoïevski traduits par André Markowicz), le réel frappe toujours à la porte d’une façon impérieuse.

Il faut partir,, à l’hôpital Cochin par exemple, qui, en ces débuts de pandémie en France, n’est pas encore saturé.

« La décision fut prise de m’admettre dans un service de réanimation afin d’être proche d’un respirateur en cas d’aggravation. »

Il faut alors penser concrètement à la mort, aux directives anticipées, à tout ce bazar assommant des fins de vie.

« Je me retrouvai seule, confie Catherine Millot, avec l’idée que j’allais peut-être mourir, qui me laissait étrangement sereine. Il était deux heures du matin. Je regardais le local exigu dans lequel je me trouvais et me disais qu’il y avait, certes, des lieux plus « sexy » pour mourir. »

Oui, ce n’est pas faux, mais qui a fréquenté lors d’assez longs moments les hôpitaux leur trouve un air aussi désespérant qu’étrangement vrai dans leur banalité aseptisée.

Voilà la loi, et seule compte désormais la force spirituelle qu’il nous reste.

Mourir est peut-être plus facile lorsqu’on a lu comme l’auteure les stoïciens, et médité intensément les mystiques (Madame Guyon, Etty Hillesum…) mais chaque chose en son temps, et trop se précipiter manquerait d’élégance.

« Portée par la grande égalité de tous devant la mort, je vivais en paix, au cœur de cette nuit, dans le vide qui s’ouvre devant soi quand on n’a plus d’avenir. »

Une pandémie virale ravage la planète, on ne meurt pas tout à fait seul, l’un est l’autre dans la vie nue du vaisseau fantôme qu’est l’hôpital aux heures les plus angoissantes de la nuit.

Les médecins ne sont pas toujours délicats, qui sont devenus des techniciens, mais il y a des exceptions, des douceurs incroyables, des regards, des gestes, des paroles, qui sauvent tout, et font ressentir une immense gratitude envers le personnel soignant.

Pour Catherine Millot, la tâche de vivre devient épuisante, chaque acte demandant des efforts démesurés, fors la lecture et l’envoi de textos aux proches, à l’aimée.

Peu à peu, la force de vie grandit de nouveau, tapie au fond du gouffre comme une barque de secours.

Le corps possède des ressources que nous expérimentons peu, préférant quelquefois, souvent, déléguer notre capacité d’auto-guérison à des puissances extérieures.

Livre en trois parties, Un peu profond ruisseau… questionne alors, avant que d’évoquer la force de vie tenace chez une mère centenaire à la présence beckettienne (partie 3), la mise en place chez l’auteure d’une sorte de structure d’anéantissement inscrite très tôt dans la vie infantile.

S’interrogeant à partir de Kant et de Burke sur la notion de sublime, mais aussi de Lacan sur celle de pulsion de mort active dans le voile de la beauté, Catherine Millot met en tension menace de l’abîme, danger de mort, et vertiges de la sérénité, angoisse et grâce, thème du très beau livre par lequel j’ai connu son œuvre, Abîmes ordinaires (Gallimard, collection L’Infini, 2001).

Il y a un lien intrinsèque entre abandon et extase, sentiment de déréliction et béatitude, perte absolue et acquiescement (Gelassenheit), abolition de soi et communion avec l’infini.

« Mais l’anéantissement, précise-t-elle, n’était pas le mot de la fin. « Une force secrète », une « vigueur secrète », se met à sourdre, puis à jaillir du néant. Celui-ci change de signe, se fait élan, pur élan vital. Sans objet, gratuit, sans pourquoi, il se répand dans l’espace infini, le grand vide libéré par la disparition de soi-même et de Dieu. C’est alors la « Vie parfaite », celle où l’âme entre dans la « Paix-Dieu », comme un fleuve se perd dans l’océan. »

Un peu profond ruisseau… est le livre de cette force secrète, foi dans la vie en elle-même, et c’est magnifique.

Où l’on découvrira notamment que les paroles entourant la naissance d’un enfant ont un poids destinal, déterminant la vie amoureuse comme la relation à toute épreuve de l’ordre d’un élargissement, ou/et d’un affranchissement.

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Catherine Millot, Un peu profond ruisseau…, Gallimard, 2021, 98 pages

Catherine Millot – site Gallimard

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