©Nicolas de Crécy / Louis Vuitton Malletier
Artiste passionnant, Nicolas de Crécy, reconnu pour ses bandes dessinées au ton souvent ironique, voire sarcastique (la série des Léon La Came), est un esprit ne cessant de se déplacer dans sa pratique et ses curiosités.
Dessinateur, scénariste, peintre, écrivain, l’auteur qui fut pensionnaire à la Villa Kujoyama en 2008 aime explorer des genres nouveaux, le récit autobiographique en dessins, la fable, le conte, le manga, et le journal de voyage avec Carnets de Kyoto, et aujourd’hui, dans la collection Travel Bool des éditions Louis Vuitton, un superbe Mexico.
Le Lyonnais aborde la mégapole mexicaine à l’instinct du crayon, se laissant guider par sa main, cherchant d’abord à rendre compte de son atmosphère populaire, du foisonnement de la vie quotidienne en ses rues aux forts contrastes dominées par le rouge – du sang, du sacrifice, des pulsions bouillonnantes.
©Nicolas de Crécy / Louis Vuitton Malletier
Son livre procédant de techniques mixtes – stylo bille, pastels gras, crayons de couleur, aquarelles, encre noire… – est ainsi un hymne à la couleur et aux dieux aztèques encore vivants sous le vernis de la modernité rutilante.
« Le dessin direct, gratuit, explique-t-il à Virginie Luc qui l’interroge, exécuté d’après nature – contrairement au dessin utile et narratif – est un exercice nécessaire et très bénéfique qui nourrit mon vocabulaire graphique. A main levée, l’inconfort de la rue impose des raccourcis et libère le trait, qui se fait plus vivant. J’aime cette franchise qu’impose la réalité. »
Mexico, dont l’emblème pourrait être celui de la fleur du flamboyant, est un livre chaud, multiple, aux yeux constamment ouverts sur la diversité d’un espace géographique aux entités intenses.
©Nicolas de Crécy / Louis Vuitton Malletier
Les volcans Popocatepetl et l’Ixtaccihuatl ne sont pas loin de la capitale. Comme à Naples, on sait ici qu’il ne faut pas attendre le lendemain pour commencer à vivre vraiment.
Mexico est polluée, infernale, enfiévrée, consumériste, folle, et reste pourtant désirable, insaisissable, mystérieuse.
Elle offre au visiteur qu’elle avale ses monuments, ses façades colorées, ses arbres asphyxiés, elle épuise mais elle exalte.
©Nicolas de Crécy / Louis Vuitton Malletier
Ses chiens errants sont les meilleurs cicerones qui soient, il faut se faire accepter puis les suivre à distance raisonnable, ils connaissent bien des secrets et chemins de traverse.
Dieu est là, excessif, glorieux, envahissant, c’est un superhéros aux cuisses ensanglantées.
Mais, l’album de Nicolas de Crécy, qui voyage dans tout le pays, n’est pas uniquement centré sur sa ville phare, c’est le portrait vif et enchanté d’un territoire de jungles et de rues plombées par le soleil, de catholicisme débordant et de paganisme très ancien, de villas patriciennes et de chapelles baroques, où la mort fait partie intégrante de la vie.

Des pyramides précolombiennes, des croix chrétiennes, des arbres aux racines bleues.
Excellant dans l’art du paysage saturé de détails, Nicolas de Crécy offre à ses lecteurs une vision superbe d’un pays où la foi s’incarne en des ciels de féérie comme en des bâtiments religieux construits telles des nefs de haute mer, en des sables brûlants comme en des haciendas fraîches, en de vieilles paysannes indiennes humbles et fortes comme en des pantins de chair humaine dansant avec des squelettes.
Nicolas de Crécy, Mexico, editorial director Julien Guerrier, art director Frédéric Bortolotti, éditorial coordination Marie-Hélène Brunel-Lhoste, Nicola Mitchell, graphic designer Frédérique Stietel, texts Virginie Luc, Louis Vuitton Travel Book, 2021
©Nicolas de Crécy / Louis Vuitton Malletier
Les éditions Louis Vuitton publient conjointement dans la même collection le carnet bruxellois du dessinateur flamand Ever Meulen, dont l’œuvre graphique fut célébrée en 2012 par le prix Henry van de Velde.
L’auteur passionné d’élégantes voitures anciennes rend hommage à la ville de Bruxelles en des images très riches visuellement, que Virginie Luc décrit avec justesse comme des palimpsestes.
La capitale belge est évidemment présente en ses multiples lieux la symbolisant (l’Atomium, la Grand-Place…), mais Ever Meulen préfère la périphérie, les chemins de traverse, donnant de la ville une géographie tout à fait personnelle, presque abstraite quelquefois.
Les plans se superposent, les angles se chevauchent, les perspectives se mélangent, avec beaucoup de bonheur.
©Ever Meulen / Louis Vuitton Malletier
« Je suis un vieux schnock, confie-t-il, qui dessine sur du papier, avec des matières organiques, qui exécute des aplats et des pages à part pour la couleur. C’est un travail très artisanal par rapport à la pratique désormais numérique du métier de dessinateur… J’aime ce temps long. Je ne vais pas trop vite pour que ça dure encore. »
Le dessin d’Ever Meulen est quelquefois naïf, enfantin, d’autant plus touchant qu’il est intimement informé par l’histoire de la bande dessinée, belge et américaine.
Chaque page multiplie les lignes de sens, les parcours de lecture, les chemins de reconnaissance, reprenant des éléments récurrents (les avions, les voitures de sport, les routes, les silhouettes féminines, les oiseaux, parfois la tête à l’envers).
La vision est éminemment subjective, préférant l’énergie de la mémoire en sa force de recomposition, et la logique de la fantaisie, à la reproduction servile des seules lignes de la réalité, tout en étant néanmoins d’une précision extrême.
On peut/il faut rester longtemps sur chaque planche, tant abondent les détails surprenants et les anachronismes savoureux, la joie du maître-enfant se lisant aussi dans l’utilisation des couleurs.
©Ever Meulen / Louis Vuitton Malletier
Ever Meulen dessine sa liberté tout en faisant le portrait d’une ville intimement marquée par l’histoire de l’art : Art nouveau, Hergé, Le Corbusier, Mallet-Stevens, Jacques Tati, comic strip américain.
Au fond, Brussels n’est-il pas un stoemp visuel ?
Des photographies en fin de volume montrent l’artiste/artisan penché sur sa table de travail, son matériel, ses crayons, ses calques, ses gommes, ses pinces à linge, et c’est merveilleux.
Ever Meulen, Brussels, editorial director Julien Guerrier, editor Anthony Vessot, texts Virginie Luc, Louis Vuitton Travel Book, 2021
good article thanks
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