Pierre Drieu La Rochelle, pages inédites

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« Je me demandais, écrit Chateaubriand, si les ossements n’ont point des modes de vie qu’on ignore, s’il n’est pas d’existences de néant, des pensées de poussière. »

Depuis son adolescence, Drieu La Rochelle n’a cessé d’écrire, publiant notamment en 1931 le magnifique Feu follet – à quand l’inscription de ce livre au programme des lycéens passant leur examen ? l’ami d’Aragon, le dandy séducteur, le jeune bourgeois se sentant déclassé, irrémédiablement compromis avec l’Allemagne nazie pour avoir notamment accepté de diriger la célèbre revue de Gallimard, serait-il à jamais politiquement incorrect dans le vaste mouvement international de la cancel culture préférant les tièdes aux grands irréguliers ?

Le voici de retour – il mit fin à ses jours le 15 mars 1945, après une première tentative de suicide en août 1944, ayant refusé le chemin de l’exil comme Malraux le lui proposait – avec une reprise de ses agendas, carnets, feuilles volantes, pages déclassées – tenus de 1909 à 1944 -, dans une édition conçue par Julien Hervier pour Les Cahiers de la NRF.

Carnets de l’étudiant à Sciences PO, en voyage en Angleterre (1909), carnets des Dardanelles (1915), carnet d’Argentine (1932), pages sur la constitution de la nouvelle Nouvelle Revue Française durant l’Occupation allemande, notes sur le nationalisme (1942) sont ainsi des inédits. 

On découvre à la lecture de Jouer Dantzig sur un match de football – titre choc – un jeune homme se posant des questions morales (thème récurrent du déclin de l’Occident), essayant son style, jetant des phrases, imaginant des passages de romans – formules d’autant plus touchantes qu’elles sont parfois quelque peu bancales rythmiquement -, se questionnant sur l’art – il aurait aimé être peintre – et la littérature, analysant Maeterlinck, Schopenhauer, Nietzsche, Barrès (ses « éjaculations spirituelles ») et Rousseau, se jugeant parfois trop peu aventureux tout en étant fasciné par les hommes d’action.  

« On peut dire que le rôle de l’art est d’élever l’esprit, écrit-il en 1909. (…) Mais l’art n’a peut-être pas de but – ce n’est peut-être que l’enthousiasme de la vie. »

Plus loin, même année : « Si la tradition française est celle de Rabelais, Molière, La Fontaine, Voltaire, Anat[ole] France – nous sommes bien les Athéniens de notre époque. Nous en avons certains défauts avec d’autres, et certaines qualités avec d’autres. Je parle de certains Français car la masse… »

Monseigneur Myriel, dans Les Misérables, est cité : « Le beau est aussi utile que l’utile. »

On sait qu’il aida en 1944 Jean Paulhan à échapper aux Allemands, qu’il fit probablement libérer Sartre comme d’autres écrivains français, et que la question de l’aristocratie de la sensibilité dans une conception nietzschéenne de l’homme lui tenait particulièrement à cœur.

Jeune, Drieu, pourtant brillant dans ses réflexions politiques et philosophiques – par exemple à propos de l’inconscient religieux des peuples -, doutait de ses facultés d’écrivain-né, craignant l’inauthenticité.

« Dire des choses très raisonnables, écrit-il en 1912, avec des yeux de fou. »

En quête du meilleur régime politique, ne croyant pas à l’automaticité du progrès, l’auteur de Gilles, très préoccupé par la notion de décadence, hésite entre conservatisme et révolution.

« Ce qui le sépare de la foi marxiste, précise Julien Hervier, c’est qu’il n’accorde aucune valeur messianique au prolétariat occidental qui lui paraît tout aussi marqué par la décadence que l’ensemble de notre civilisation ; il garde seulement un petit espoir, cinq ou six ans avant la révolution soviétique, dans les ressources d’énergie que peut encore recéler le peuple russe. »

Aimant les mots rares, l’écrivain dresse des listes : « Défoliation – défloraison – défleuraison / – Défluxion défouir / – Défortune patrouiller / glabelle – droiturier / culs-terreux – engeigner / enchifrener »

Phrases pour des romans : « Si j’étais femme, je n’aimerais pas beaucoup coucher avec un radical-socialiste. » / « Figure-toi mon vieux que je n’ai acheté que six capotes anglaises dans ma vie. » / « Que c’est fatiguant de faire l’amour avec une Américaine. »

Principe de composition (1913-1914) : « Ecrire abstraitement, encore plus que Stendhal, car il faut réduire le nombre des personnages et ramener les fils des innombrables petits faits, que Stendhal se contente de montrer isolés, à la poignée, au nœud de traits généraux, de mouvements typiques, ce qui seul satisfaire les blasés, creusant tout jusqu’à la métaphysique que nous sommes tous. »

Drieu ne cesse de noter le nom d’écrivains qui lui importent ou qu’il souhaite rassembler : Jacques Rigaut, Léon-Paul Fargue, Louis Jouvet, Ramon Fernandez, Louis Aragon, Jean Giono, André Gide, André Malraux, Paul Léautaud, Jacques Copeau, Jean Paulhan, Henri Thomas, Henry de Montherlant, Roger Martin du Gard, Jacques Audiberti…

En 1942, il écrit, comme un nouvel autoportrait, dans ses Notes sur le nationalisme : « Mon âme, c’est la France et je ne puis vivre sans mon âme. Ils veulent tuer mon âme. » / « Il y a des jours où toute chair me paraît pourrie et où je ne peux imaginer sans un haut-le-cœur l’embrassement des gens que je connais. Je sens là comme un vice poindre en moi, ou une décomposition, une décadence. » / « L’homme vit d’air et d’orgueil. Et quand l’espoir meurt, tout est mort. »

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Pierre Drieu La Rochelle, Jouer Dantzig sur un match de football, Carnets intimes 1909-1944, édition de Julien Hervier, Les Cahiers de la NRF, Gallimard, 2021, 250 pages

Pierre Drieu La Rochelle – Gallimard

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Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Didier BenLoulou dit :

    Pour aller plus loin dans le débat, je conseille ce lien : https://www.franceculture.fr/litterature/lentree-de-drieu-la-rochelle-en-pleiade-fait-debat

    J’aime

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