©Hannah Darabi/Editions GwinZegal
Dans l’agglomération de Los Angeles, dans le comté d’Orange, la diaspora iranienne, la plus grande communauté en dehors du grand pays chiite, a créé une enclave identitaire souple appelée Little Persia ou Tehrangeles.
Très marqué visuellement par la culture iranienne liée fortement à la musique véhiculée par les cassettes et les images des chanteurs populaires des années 1980 et 1990 – réfugiés aux Etats-Unis après la révolution de 1979 -, cet espace unique est aujourd’hui l’objet d’un livre de la photographe Hannah Darabi née en 1981 à Téhéran.
Publié avec grand soin à Guingamp (Côtes d’Armor) par les éditions GwinZegal, Soleil of Persian Square associe portraits, objets, paysages urbains – dans la tradition des News Topographics -, captures d’écrans de clip musicaux vintage, pages d’annuaires d’entreprises donnant des informations sur les activités des hommes et femmes de la diaspora.
©Hannah Darabi/Editions GwinZegal
Hannah Darabi a donc construit un livre pop, doucement politique, que les mollahs actuellement au pouvoir en Iran réprouveraient immédiatement : trop de liberté, trop de sensualité, trop de joie, trop de laisser-aller occidental.
« Malgré de nombreuses restrictions, précise l’auteure, la musique pop produite à Los Angeles a trouvé son chemin jusqu’en Iran, notamment après 1983, lorsque la guerre Iran-Irak a perdu en intensité. Elle s’est alors diffusée sous le manteau sous la forme de copies sur cassettes réalisées par des revendeurs clandestins spécialisés dans la musique et le cinéma. Ce système de diffusion continuera jusqu’en 1997, moment où l’arrivée du format MP3 brisera, de fait, la censure de l’Etat. »
La musique fut donc un trait d’union entre les membres d’un peuple dispersé géographiquement, et que la morale religieuse d’Etat souhaitait réformer à l’intérieur de ses frontières.
©Hannah Darabi/Editions GwinZegal
©Hannah Darabi/Editions GwinZegal
Soleil of Persian Square est donc une réflexion en images sur des codes culturels mêlant terre natale et exil, passé et présent, mémoire et avenir.
Est-on davantage persan – terme à forte connotation fantasmatique revendiqué fréquemment par la diaspora – à Los Angeles que dans la capitale iranienne ?
Jusqu’où a-t-on besoin des stéréotypes identitaires pour se sentir appartenir à une même communauté ?
©Hannah Darabi/Editions GwinZegal
Dialoguant avec Ferzaneh Hemmasi, ethnomusicologue à l’université de Toronto ayant écrit Tehrangeles Dreaming (Duke University Press, 2020), Hannad Darabi se questionne sur la dimension de réprobation – musique déclarée immorale par les dévots, ou pas assez savante par les intellectuels – s’attachant aux compositions pop représentatives de la culture populaire prérévolutionnaire.
Pourtant, analyse la chercheuse iranienne, nombre de musiciens de la diaspora furent des conservateurs, aspirant à la respectabilité, notamment pour asseoir leur succès commercial.
Au-delà des stratégies des uns et des autres à propos de la musique médiatisée, il est frappant de constater qu’un peuple dispersé a pu continuer à se construire unitairement par l’émotion entretenue à la fois par un style de musique refusant son inféodation au pouvoir, sans être pour autant constamment subversif, et une identité visuelle ayant très fortement imprégnée les inconscients comme les codes de l’ethos quotidien.
Hannah Darabi, Soleil of Persian Square, avant-propos Hannah Darabi, entretien de l’auteure avec Farzaneh Hemmasi, design Myriam Barchechat, Editions GwinZegal, 2021, 220 pages
©Hannah Darabi/Editions GwinZegal
Ouvrage réalisé à l’occasion de l’exposition éponyme de Hannah Darabi au Centre d’art GwinZegal à Guingamp en 2022
Lire mon article sur ce livre – paru le 1er juin 2019
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Se procurer Rue Enghelab, la révolution par les livres en Iran