
©Stockmans / Marleen Daniëls
Marleen Daniëls est une photographe étonnante, travaillant à la jonction de la mode et de l’actualité parfois la plus brûlante ou dramatique.
Elle peut être au Liban ou Irak, dans des zones de conflit, mais aussi à Milan, à New York, à Paris, pour des magazines de mode.
Venue de l’ex-Yougoslavie en guerre, Marleen Daniëls a naturellement intitulé son imposant livre monographique – 2,5 kgs, 816 pages -, Sarajevo to Paris, ce premier ouvrage rétrospectif se centrant sur son travail dans le monde de la mode.

©Stockmans / Marleen Daniëls
On est plutôt ici du côté de Fitzgerald (Gatsby le magnifique) que d’Ernest Hemingway (L’adieu aux armes), tout va bien.
Les images apparaissent d’abord en très petit format sous forme de mosaïque, les défilés défilent : I. Miyake, Dior, J. Galliano, Chloé…
Des souliers de toutes sortes, des bustes, des visages, des coiffures, des parures, des robes, des chairs plus ou moins dénudées, des extravagances splendides.

©Stockmans / Marleen Daniëls
Maquillage, marche codifiée, shooting, planches-contacts.
Morgue, neutralité, séduction, mais pas trop : mettre en valeur le vêtement.
Chaque couturier invente son univers, tout est théâtre : décors, lumières, dentelles, verre de vin.
Lèvres carminées, jambes fines, yeux d’anges.
Epingles, talons, plis du satin, dos nu.

©Stockmans / Marleen Daniëls
Il y a une forme de dureté, voire une froideur dans les photographies de Marleen Daniëls, qui ne joue pas à la joliesse, mais documente l’ensemble des moments d’exhibitions souvent chic et choc des marques de luxe, dans un continuum en montrant l’artifice mais aussi le labeur.
On peut être ému par tel-le ou tel-le modèle, tels ou tels atours, telle ou telle posture, mais l’important est moins de s’enamourer, que de faire ressentir le talent des créateurs en soulignant sans en rajouter la spécificité de leur univers.
Alexander McQueen ? des figures de cire dans un bal vénitien, un carnaval brésilien, une sauvagerie sophistiquée.

©Stockmans / Marleen Daniëls
La photographe ne cherche pas l’image parfaite, mais à montrer les temps forts comme les temps faibles, la tension comme le relâchement, la fatigue comme l’exaltation, et partout le professionnalisme.
Nul doute, l’intelligence dans la création est omniprésente, chez Ann Demeulemeester, chez Balenciaga, chez Bernhard Wilhelm, l’Apache baroque, chez des dizaines d’autres.
Sarajevo to Paris est une manière d’inventaire classant ses images par lettres alphabétiques.
Qui trouve-t-on par exemple à la lettre M ? Manish Arora, Marc Jacobs, Martin Margiela, Missoni.

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Luxe, débauche d’argent, présence des spectateurs assermentés.
Le regard de Marleen Daniëls n’est pas moral. Aucun jugement a priori, aucune condescendance ou condamnation, mais la vision d’un spectacle ininterrompu dans les grands centres de la mode mondiaux, une construction du goût, un air d’époque supérieur.
On se damnerait pour certains visages, pour certains corps, mais bien entendu tout ceci n’est qu’illusion, poudre aux yeux, féérie d’un instant.
Le fard a coulé, la fête est terminée, les robes ont été remisées.

©Stockmans / Marleen Daniëls
Rendez-vous dans le prochain défilé, dans un an, dans un mois, dans un jour, tout à l’heure.
Les bombardements sur Sarajevo sont loin, il y a ici d’autres snippers munis de flashes, des concurrences d’ego, des férocités, mais, franchement, il n’y a pas photo.
Marleen Daniëls, Sarajevo to Paris, texts Veerle Windels, Eve Demoen, Femke Vandenbosch, Marleen Daniëls, curated by Bruno Devos, book design Nousjka Daniëls, Stockmans Art Books, 2021, 816 pages – 750 exemplaires
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