La rue, le crime, le visage, par Stéphane Duroy, photographe

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©Stéphane Duroy

A soixante-quatorze ans, Stéphane Duroy publie aux Editions Bessard (Paris), Slow Motion, l’un de ses meilleurs livres.

Ce n’est pas une monographie léchée, ou un ouvrage de plusieurs kilos destiné à écraser tous les autres, non, c’est un fanzine tiré à un petit nombre d’exemplaires que les plus chanceux se procureront.

Imprimé en riso, technique privilégiant l’accident et la sensation tactile plutôt que les impeccables reproductions proches de l’asepsie, Slow Motion est, en trente images, le condensé d’une vie de photographe allant désormais de plus en plus vers la peinture.

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©Stéphane Duroy

Se devine au dos de la couverture un visage peint, d’essence fantomatique, et tout est déjà là des préoccupations majeures du photographe hanté par l’Histoire du crime au XXème siècle : les questions de la figure et de la défiguration, de l’apparition et de la disparition, de l’anonymat et de la reconnaissance, de la nécessité de l’art et de sa folle ambition d’établir un lien entre les vivants et les morts.

Slow Motion serait donc un opuscule arty testamentaire ? Non, rien à voir avec la délectation morose déclinée en geste iconoclaste, mais une forme de bilan, obstiné et indispensable, des aventures de la destruction à l’époque des totalitarismes.

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©Stéphane Duroy

Stéphane Duroy ne cesse de méditer ce qu’il en est de notre faculté à nous détester, nous entretuer, nous exterminer.

Face à la gigantesque et terrifiante statue du Mort-Homme, située à Verdun, squelette dressé tel un faucheur poussant un cri de victoire, la photographie d’une petite fille au visage doux vient tempérer le sentiment de désolation.

C’est pour cette enfant qu’il faut vivre, qu’il faut tenter de faire reculer la haine, en restant à la hauteur de ses yeux de confiance, sans ciller soi-même devant les abominations qui la menacent.

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©Stéphane Duroy

On est certes seul dans le cadre du photographe, à Liverpool, à Berlin, au pays de Galle, mais l’on est encore, quand les villes de nos cités modernes se peuplent d’hommes et de femmes-déchets, abandonnés à la vie nue, réduits à dormir sur des cartons ou à chuter de quelque banc impuissant à retenir leur déchéance ultime.

Les Misérables pourrait être le sous-titre de Slow Motion, qui ne fait pas la leçon mais montre l’esseulement et les conséquences des idéologies assassines, capitalistes, nazies et communistes.

Pas de théodicée chez Stéphane Duroy, mais le constat d’une puissance supérieure absente, entravée, ou simplement indifférente.

Bretagne, Guingamp, Notre Dame du bon secours  2004
©Stéphane Duroy

Une femme se maquille, une autre, appuyée contre une palissade en fer, picole dans la saleté et la désespérance, une autre encore regarde fixement l’homme qui la fixe, d’humanité à humanité.

Le motif récurrent de la figure acéphale interroge, faisant songer à la pensée conclusive du livre autobiographique de Jean-Paul Sartre, Les Mots : « Si je range l’impossible salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. »

Non, pas de salut, mais un partage de regards sur fond d’impossible, une éthique du visage doublée de la conscience de n’être qu’un atome jeté dans la broyeuse de l’ère des guerres industrielles.

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©Stéphane Duroy

On se tue au travail, on s’effondre, un dimanche après-midi, lors d’un banquet de famille, on cherche une place et une identité dans les ruines du présent.

Le long de la clôture en fil de fers barbelés d’Auschwitz, une petite dame photographiée de dos, habitant très certainement l’un des logis modestes en bordure du camp, vient de couper des herbes.

Elle tient une faux et regarde ce qu’il reste des baraquements où furent logés les déportés.

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©Stéphane Duroy

Cette femme est la fille du Commandeur de Verdun, elle est la vie qui persiste en son être, elle est la mort qui toujours nie, elle est le temps atroce sans visage.

Pas de lyrisme, mais de l’effroi, et, peut-être, quelques lignes de compréhension à propos de la nature humaine, voici Slow Motion.

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Stéphane Duroy, Slow Motion, book designer Stéphane Duroy/Thibault Geffroy, Editions Bessard, 2021, 36 pages – 300 exemplaires 

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©Stéphane Duroy

Stéphane Duroy – Agenve VU’

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©Stéphane Duroy

Editions Bessard

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