©Frédéric Hoerth et Valentine Prouvez
« J’ai traversé TOUTE l’Europe, la Turquie, la Géorgie, l’Iran, et je peux vous dire la chance ENORME qu’on a d’être en France. A MES FUTURS AMIS MIGRANTS, D’ICI OU D’AILLEURS : BIENVENUE !!! »
C’est un livre de photographies (Frédéric Hoerth et Valentine Prouvez uniment) et de témoignages, pas un ouvrage pour bibliophiles, mais un document brut pensé au croisement de l’art et de la sociologie.
Construit sur un mode collectif, composé de photographies essentiellement en noir & blanc prises par des squatteurs montpelliérains, Nomades – publié par les Editions des Rues et des Bois – est également un recueil de paroles très fortes d’hommes et de femmes vivant dans une grande précarité.
©Frédéric Hoerth et Valentine Prouvez
Occuper un lieu laissé à l’abandon, le photographier, le parler, rompre le silence auquel contraint une société souhaitant ne surtout rien savoir de la vie de ceux qu’elle abandonne ou pousse à la marginalisation.
Solitude, alcool, drogue, violence, et solidarité, soutien, hospitalité.
L’un parle d’« Université des êtres humains », un autre précise : « Squat, c’est un terme que je n’aime pas du tout parce qu’il est assez… comment dire… il dénigre. C’est péjoratif. Moi, j’oppose plutôt l’underground à l’overground. »
©Frédéric Hoerth et Valentine Prouvez
Je lis « propre expérience », « être dans la liberté », « partage », « imaginaire », « règles communes ».
Un autre : « C’est un désert. Il faut que tu traverses ton désert, dans cette solitude-là. Pour savoir qui tu es, ce qui te tente. Ce qui ne te va pas. Qu’est-ce que tu aimes, que tu n’aimes pas, il y en a qui ne savent pas. Ils ont peur du désert. Mais tu es obligé de le traverser, t’es obligé. »
Je lis : « fardeau », « découvrir », « l’anarchie c’est pas le chaos », « osmose »
©Frédéric Hoerth et Valentine Prouvez
Mais aussi : « guerre », « mesquin », « jaloux », « profit », « tirer les ficelles », « plus comme avant »
Le squat-underground, ce sont des murs troués, des visages abîmés, des épuisements, et des rires, des folies, des expériences.
Des bric-à-brac, des petits monts de bières, des bras tatoués.
©Frédéric Hoerth et Valentine Prouvez
« Tu vois, avec le temps, j’ai réussi à… à m’ouvrir l’esprit, tu vois. Parce qu’avant j’étais un vrai branleur. »
Tags, art sauvage, pouvoir d’ouverture des images.
Rage d’expression.
« J’ai envie de ne rien devoir à personne. Je n’ai pas envie d’avoir la tête ailleurs tout le temps, parce que je dois quelque chose, que ça soit à quelqu’un ou à l’Etat : je veux être tranquille dans ma tête. Je veux sortir de toute cette merde complètement, pas à moitié. Je n’ai pas envie de camoufler des choses, en fait. »
Les témoignages sont extrêmement abondants, des dizaines de pages, la parole est libérée, précieuse en cela.
©Frédéric Hoerth et Valentine Prouvez
Des cabas, des sanitaires douteux, des escaliers défoncés.
Punk attitude, misère attitude, révolte attitude.
« Je trouve que la misère est trop exploitée, c’est-à-dire… c’est même un métier. C’est une branche professionnelle d’exploiter la misère des gens. C’est bien le social, hein ? Mais pas pour avoir un métier ! Parce que ça fera toujours exister la misère quelque part, ça. Tu vois ce que je veux dire ? Les éducateurs, les assistants sociaux, les… A part ici, mais c’est quand même une vraie exception, parce que c’est basé sur un bon esprit. Mais dans les autres structures c’est… perverti. »
Il faut lire et regarder Nomades comme un voyage en terra incognita.
Nomades, ouvrage dirigé par Frédéric Hoerth, Nathalie Legardinier et Valentine Prouvez, collection Parole brute dirigée par Benjamin Eskenasy et Valentine Prouvez, Editions des Rues et des Bois, 2021, 197 pages
Des mots qui touchent, des images qui ébouriffent, et une singulière poésie…
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