Dans les Pouilles, par Luigi Ghirri, photographe

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©Luigi Ghirri/MACK 

J’ai ces dernières années présenté chaque fois que possible, et notamment à l’occasion de publications chez MACK (London), qui mène un travail de redécouverte au long cours, l’œuvre de Luigi Ghirri (1943-1992).

Dans notre monde de fureur et de simulacres publicitaires livré à l’instinct de mort, l’intelligence sans esbroufe du regard du photographe italien, géomètre et coloriste identifié à la province de l’Emilie-Romagne, sauve quiconque accepte d’entrer dans la finesse de ses nuances chromatiques, la délicatesse des scènes et la puissance des formes qu’il perçoit.

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©Luigi Ghirri/MACK

Puglia tra Albe e Tramonti permet de découvrir sa relation privilégiée avec les Pouilles, région dont la singularité a marqué durablement cet homme venu du Nord.

A partir de 1982, le photographe voyage chaque année en ces terres frappées par un soleil de plomb et frangées d’une mer impeccablement bleue, y développant des séries peu connues. 

Des rues blanchies à la chaux, des fêtes foraines, des plages, des nuits luminescentes, des arcatures, des pierres, des arches, des voitures, des enfants et des adultes vaquant à leurs occupations dans un espace vidé de la majorité de sa population.

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©Luigi Ghirri/MACK

Il n’y aucune fureur, ni culte de la vitesse chez lui : Luigi Ghirri n’est pas un futuriste.

Des angles, des diagonales, les dialogues intenses des ombres et de la lumière.

Nous sommes dans des villes ou villages désertés à l’heure où la chaleur pousse chacun a fuir l’espace public, à Polignano a Mare où la mer est d’une transparence bleutée fascinante, à Alberobello où les toits des maisons sont coniques, à Bitonto, à Monopoli, à Ostuni, à Martina Franca, à Conversano, où les demeures sont aristocratiques.

Bari l’imposante n’est jamais très loin, mais Ghirri n’observe en elle que les détails qui le touchent, une fenêtre barrée par du papier journal, les barreaux d’un palais, une colonne dorique, une rue grise ponctuée de menues présences colorées (des volets verts, du linge rouge et blanc, un pan de mur rose).

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©Luigi Ghirri/MACK

Le photographe est attentif aux vitres et surcadrages mettant en abîme sa propre image.

On est bien ici, parce que le mystère n’est jamais affecté de préciosité, qu’il y a de l’incarnation en chaque chose et que l’être humain se fait discret.

Du silence, aucune tonitruance, rien de criard ou d’agressif.

Une légère ironie quelquefois, mais sans surplomb, comme si le regardeur et le regardé partageaient un même rire intérieur n’ayant nul besoin de se répandre pour être entendu.

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©Luigi Ghirri/MACK

Dieu est partout et nulle part, et les enfants sont les maîtres de la rue.

Des épingles à linge, des cageots de légumes, des portes, des saynètes à la limite de l’absurde.

La modernité apparaît quelquefois en ces lieux frappés d’immobilité, mais sur le fond le soleil est le plus fort, qui oblige les adultes à se tapir.

Des escaliers, des cours pavées, des plantes dans des pots.

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©Luigi Ghirri/MACK

De la gloire et de l’humilité.

Chaque image est un théâtre gagné par le noir ou la blancheur.

Des chaises, des rideaux, des édifices religieux.

Des aînés reprennent leurs discussions habituelles, chacun a sa place dans le spectacle de la conversation.

Luigi Ghirri regarde la rue en architecte, la façon dont les bâtiments s’organisent, sans jamais oublier la fonction civilisatrice de l’art, omniprésent.

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©Luigi Ghirri/MACK

Il y a une immense douceur pour ce qui est, simplement, magnifié à la manière d’une nature morte prenant la dimension de communes entières.

Des croix, des sculptures en plâtre, des livres.

Le photographe italien aime reprendre certaines images, juxtaposer selon un même point de vue des espaces que l’humain traverse (page de droite) ou non (page de gauche).

Le temps est en ces lieux rendu solennels par l’extrême attention de l’artiste une donnée presque palpable, c’est une main ayant laissé son empreinte sur un mur, une pierre érodée, une ombre qui grandit.

Dans le labyrinthe des vieux quartiers, il y a des présences furtives, des beautés de chemins tortueux, et l’éblouissement des surfaces immaculées.

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©Luigi Ghirri/MACK

La sainte vierge est une madone bleue flottant dans une mandorle dorée.

Puglia tra Albe e Tramonti est composé comme une partition musicale : reviennent ici et là des motifs, des couleurs, des formes, des rues et des matières.

L’impression est de découvrir chaque nouvel endroit en déambulant aux côtés du photographe, et de se laisser guider par ses intuitions, ses retours, ses arrêts, sa volonté d’approfondir tel ou tel coin de rue ou morceau de territoire.

Luigi Ghirri construit des images-temps (Deleuze) dans un monde pressé de toutes parts, ne prenant plus la peine de célébrer ce qui est.

S’il y a parfois chez lui une sorte de stupeur amusée face à ce qui apparaît, son regard de plasticien philosophe est d’abord celui d’un homme plein de gratitude pour la splendeur du vivant dans ses manifestations les plus cérémonieuses comme les plus minuscules. 

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Luigi Ghirri, Puglia tra Albe e Tramonti, afterword Arturo Carlo Quintavalle, design Morgan Crowcroft-Brown, text editor Louis Rogers, MACK, 2022, 288 pages 

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Luigi Ghirri – MACK

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