Dylan, une disparition, par Nicolas Comment, écrivain

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_Bob Dylan resté toute la nuit à écrire_, Lisa Law, 1966. ©

Bob Dylan resté toute la nuit à écrire, 1966 ©Lisa Law

« Bob Dylan est le plus grand géant de la musique américaine. » (Barack Obama)

La notoriété est souvent une malédiction, la société du spectacle dévore ceux qu’elle admire, les chemins de contre-allée sont rares lorsque l’on est une gloire.

En 1966, après avoir chuté de sa moto et s’être blessé aux cervicales, Bon Dylan, amplifiant malgré lui sa légende, décide de disparaître, pour se consacrer à son mariage et son enfant, mais surtout, égaré, pour se retrouver intimement.

Ce retrait de salut est l’objet d’un livre intense de Nicolas Comment, Dylan, in absentia, troisième titre des éditions Louison après un volume consacré à Fassbinder, écrit par Guillaume de Sardes, et un deuxième dédié à Hervé Guibert, composé par Maxime Dalle.

Il me plaît dans cet essai biographique de repérer, au-delà de la relation des faits et des événements musicaux ponctuant la carrière de Dylan, les phrases de littérature, car si Nicolas Comment est bien repéré pour son esthétique photographique, dandy, sensuelle, poétique, l’admirateur de Germain Nouveau et du mage Henry Miller est aussi de plus en plus écrivain, en témoigne s’il le fallait son livre récent sur son ami Jacques Higelin (éditions Hoëbeke, 2019).

Ma chronique sera donc composée de citations, révélant la plus belle substance de Dylan, in absentia.

– « Le plastique même des lunettes noires de Bob Dylan est en train de fondre et de se couler dans la forme ronde du tout premier double vinyle de l’histoire du rock : Blonde on Blonde. Enjambement de trois lettres oblongues : B.O.B. »

– « Autrement dit, si les mots ont un sens, ils ont aussi un son. I Want You est située à un carrefour, un crossroad poétique, où l’intrication de la mélodie et des mots témoigne de la volonté farouche de l’auteur de se tenir toujours dans un « entre-deux », dans l’incertitude. Comme sur une photographie de la pochette de Blonde On Blonde : dissipée, floue. »

– « I Want You sera la cerise sur le gâteau. Le pompon de Blonde On Blonde. Un pic dans la carrière de l’artiste. Un sommet. Le torrent de la voix de Bob, ruisseau de toute première catégorie, dévale de ce sommet, en charriant sables et galets. C’est la voix fêlée de la jeunesse de la contre-culture. Tendre mais rêche, haute mais rauque. Elle y est « comme une femme » et se brise « comme une toute petite fille » (cf. Just Like a Woman). Elle est en bas de soir qui se file sous la main qui le caresse. Ses paroles coulent de source : I Want You est un collier de perles qui s’égrainent entre deux seins en forme d’espoir. »

– « Il n’est pas blond comme Brian Jones ou Jacques Dutronc, Dylan. Il n’a pas leur visage poupin. Il est maigre, sale, et… drogué. Comme l’Albatros de Baudelaire – un pélican d’Amérique plutôt – il est un oiseau mazouté. Dylan veut simplement rentrer chez lui, se remplumer chez les Amérindiens. »

– « C’est qu’il tombe depuis longtemps, son mec. Mais jusqu’ici sa chute était intérieure ; il retombait en lui-même et le sol était molletonné. Cette fois, Bob est sonné, hagard. Nulle trace de sang ni d’ecchymose, mais la blessure semble profonde : psychique. »

– « Dépliant sa jambe droite de tout son long, elle enfonce la pédale d’accélérateur avec la pointe de ses bottes de daim et démarre dans un nuage de poussière le long break, jusqu’à Striebel Road. »

Dylan est un survivant, Dylan est l’ami d’Allen Ginsberg, Dylan prolonge la Beat Generation.

– « Dans son dhoti kurta de coton blanc, Allen tourne autour du livre, en se grattant la barbe. Jetant au sol son sac indien bourré de carnets Moleskine, Ginsberg s’assoit en tailleur pour attraper des épreuves froissées et tachées de vin rouge et de brûlures de cigarettes, qui ornent les tapis persans de la pièce. Sur une feuille A4 maculée d’empreintes laissées par les multiples tasses de café posées sur le tapuscrit, Allen lit entre des anneaux ocre cette phrase de Dylan : « Je clouerai mes mots à ce papier. » Réminiscence : Ginsberg est à Tanger, face au Detroit de Gibraltar, dans une chambre de rez-de-chaussée de la pension El Muniria, sur le sol carrelé duquel il ramasse, entre seringues et cafards, les feuillets épars et humides du Festin nu de William Burroughs. »

– « Au moment où il rédige Tarantula, Dylan est au sommet de sa gloire, au point d’incandescence de la starification. Il brille, il brûle, littéralement… (…) Tarantula est le témoignage de tout le mal que le « Spectacle » peut faire à un artiste. En ce sens c’est un livre unique, réussi. Le Metal Machine Music de Dylan. Un livre de bruit blanc. »

Dylan se tait pendant dix-huit mois, disparaissant quasiment pendant sept ans et demi.  

– « En réalité, tel Monsieur Teste, Dylan venait simplement de tuer en lui « la marionnette ». »

– « Tous les matins du Summer of Love de 1967, Dylan les passera donc dans le salon d’une maison rose, assis face au carreau d’une fenêtre lui renvoyant le reflet de ses propres yeux, bleus, appliqués à fixer l’orée d’un bois où grives à dos olive, parulines à croupion jaune, bruants à gorge blanche et juncos ardoisés virevoltent. C’est lors d’un de ces matins neufs, en tête à tête avec lui-même, que Bob verra peu à peu monter dans la profondeur de champ située entre la vitre et les montagnes, sa lumière intérieure depuis le fond de la vallée. »

De telles phrases sont celles d’un auteur entré de plain-pied dans la voie de la littérature.

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Nicolas Comment, Dylan, in absentia, Louison éditions, 2022, 150 pages

Nicolas Comment – site

 

Louison éditions

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Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Juliette Suzanne Lucie Hoffenberg dit :

    Survol tout en profondeur, on s’y croirait, la topographie aidant, on accompagne Sara, Sally, Albert, Rick et Bob dans son retrait du monde.

    J’aime

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