
En m’intéressant à l’œuvre de Laura Vazquez (article publié le 16 août 2022), j’ai découvert la formidable revue Muscle, créée en septembre 2014, codirigée actuellement avec Roxana Hashemi.
J’ai lu quelques livraisons, découvert des écritures singulières, me suis enthousiasmé : il y a encore des continents inconnus.
J’ai souhaité en savoir davantage, en interrogeant ses deux animatrices.
« Le temps écrira le roman de mes tourments, / Mais remplir d’or le sein de l’histoire – tel est mon désir ! » (Nâdiâ Anjuman, poétesse afghane assassinée)
Muscle est une feuille de papier pliée quatre fois, qui fait, précisez-vous sur votre site, quarante-deux centimètres de long et seize centimètres de haut. Chaque numéro, de couleur différente, comprend des textes de deux auteurs sélectionnés. Comment pensez-vous les appariements ou les diptyques ? Il semble que vous souhaitiez quelquefois mêler les voix, et que l’on ne sache plus forcément qui écrit, l’important étant moins le nom de l’auteur(e) que le souffle poétique traversant la bibliothèque.
Nous faisons en sorte que les écritures ne soient pas trop proches, qu’elles ouvrent des voies différentes au moment de la lecture. Et les lecteurs-lectrices trouvent rapidement des points de rencontre entre les textes, des rapprochements dont nous ne sommes pas toujours conscientes. Pour se repérer, c’est assez simple : il y a un petit sommaire au dos du numéro et les textes apparaissent dans l’ordre annoncé.
Depuis quand cette revue existe-t-elle ? Quel en est la genèse ? Le projet initial a-t-il évolué ?
Cette revue existe depuis 2014. Elle est née d’une envie de montrer certains textes, de partager des écritures en langue française, beaucoup de traductions, des inédits, des choses brèves. Au départ, nous étions deux : Arno Calleja et Laura Vazquez. Puis, deux ans plus tard, Arno a quitté la revue. Et quelques mois plus tard, Roxana Hashemi est arrivée. Le projet initial n’a pas évolué. Mais la revue s’est encore ouverte, surtout à des traductions. Et nous organisons des événements un peu plus régulièrement.
Vous ouvrez votre collection aux poètes du monde entier. Comment viennent-ils à vous ? Les traducteurs vous passent-ils des œuvres ? Votre travail de veille, notamment dans la lecture des revues de littérature contemporaine, n’est-il pas constant ? Quels périodiques consultez-vous ? Le centre international de poésie de Marseille (cipM) est-il votre laboratoire ?
En général, nous allons nous-mêmes vers les poètes dont l’œuvre nous intéresse et nous leur demandons un texte. C’est aussi simple que ça. Et en ce qui concerne les traductions et la découverte de nouvelles écritures, c’est quelque chose qui passe beaucoup par les rencontres. Par nos écritures personnelles, nos lectures publiques, nous sommes souvent emmenées à rencontrer des traducteurs, traductrices, des auteur.e.s, et c’est souvent de cette manière que nous découvrons des textes. Mais nous faisons aussi beaucoup de recherches. Nous lisons différents blogs, on garde l’œil ouvert quoi. Les catalogues des maisons d’édition de poésie nous donnent aussi des idées.
Le cipM n’est pas notre laboratoire, mais c’est un lieu que nous aimons beaucoup, d’abord parce que c’est là-bas que nous nous sommes rencontrées, ensuite parce que l’équipe soutient beaucoup la revue. Dans les salons et marchés (où nous n’allons pas beaucoup), c’est toujours le cipM qui se charge de présenter la revue. C’est très cool de leur part, car autrement la revue serait absente.
Organisez-vous des événements pour la sortie de chaque nouveau numéro, par exemple dans des librairies à Marseille où vous résidez habituellement ? Quelles formes ceux-ci peuvent-ils prendre ?
Nous avons une sorte de partenariat avec un lieu à Marseille qui s’appelle Montévidéo. C’est un bel endroit, dédié à la littérature au sens très large. On y organise une lecture tous les deux ou trois mois. En général, on invite deux ou trois auteur.e.s et on projette des lectures de poètes qui n’ont pas pu venir, car ils vivent loin.
Vous êtes, Laura Vazquez, jusqu’en août 2023, pensionnaire à la Villa Médicis. Comptez-vous poursuivre votre quête de nouveaux poètes à Rome ? Qui sont les prochains auteurs choisis pour votre revue ? Recevez-vous beaucoup de sollicitations ?
Oui, à Rome, j’aimerais découvrir de nouvelles écritures, ou de nouvelles traductions. Ça se fera peut-être naturellement, on verra bien. Dans les prochains numéros, nous allons publier Marc Graciano, Jon Fosse, Liliane Giraudon, Gerty Dambury, et encore pas mal de poètes.
Vous avez traduit des poèmes de Christine de Pizan en français argotique. Y a-t-il une publication ? Pourriez-vous nous donner un extrait d’une traduction ?
Non, ce sont des traductions marrantes qui ne vivraient pas bien dans le temps. Le français argotique actuel sera complètement à côté de la vie dans cinq ans (ou même deux ans, ou même un). Ce sont des mots presque mort-nés. Et comme ces poèmes sont entièrement traduits dans cette langue de mots quasi mort-nés, je ne pense pas les publier. Je les ai lus publiquement par contre. En voici un :
Plus cette maladie se développait et s’aggravait, plus mes forces diminuaient, si bien que j’en devins pâle t’as capté, maigre et fracassé.
Je disais souvent « sa mère ! » de désespoir.
Quel réconfort aurais-je pu avoir, quand je ne trouvais aucun moyen de voir ma chère go ?
Car je craignais tellement ses crises que je n’osais pas me rendre auprès d’elle, pourtant j’étais dans l’mal, et cela me faisait fondre en larmes et me foutait au sol.
J’en fus KO ses morts, malade au lit, c’est alors que je composai cette ballade :
Si j’peux plus t’téma toi, ma beauté souveraine
Mon amour, ma go, ma seule joie
Mon cœur i prend cher i peine
Car si toute la moula du monde était à moi,
J’aurais keud si j’te voyais pas
C’est loin ! Et là faut que j’me plaigne
Que j’regrette l’bon dèl d’autrefois.
En saah d’vant personne j’vais dire ça
Car Amour sincère, sois en certaine
Toujours rappelle ta bel teuté à moi.
Sans cesse à ma mémoire ramène
L’image de ta beauté tu vois
Ainsi désir bourrine comme gros bâtard
Mon cœur miskin j’le sens s’éteindre
Si je devais dead ce serait la même
En saah d’vant personne j’vais dire ça
Quel bail ! Lopesa pour qui j’endure le mal
Si pour toi j’meurs – car j’trace par là -,
Priez pour moi, mon âme s’ra au calme,
Si ton œil doux un peu fait une larme
Mon âme sera saucée si parfois
Ma douleur, par pitié, peut t’atteindre
Et t’attendrir. Pleurant pour toi j’serai faya
En saah d’vant personne j’vais dire ça
Dinguerie ! Trop fraîche, toi à qui j’me donne
J’sens mon cœur, pour trop kiffer, s’éteindre
La chance veut plus que j’te téma
En saah d’vant personne j’vais dire ça
Merci pour cette performance. Quels sont vos derniers plus grands étonnements et plaisirs poétiques ?
Dernièrement : Jon Fosse, Quelqu’un va venir – Le fils.
Et Le Sacrifice, mis en scène par Dada Masilo.
Propos recueillis par Fabien Ribery

Muscle, Marc Graciano, septembre 2022, n°37

Muscle, Emily Dickinson (traduction Delphine de Stoutz) et Raphaëlle Bouvier, juillet 2022, n°36

Muscle, Cole Swensen (traduction Camille Blanc et Lénaïg Cariou) et Louise Desbrusses, avril 2022, n°35

Muscle, Maggie Neslon et Björk (traduction Céline Leroy), février 2022 (n°34)

Muscle, Nadia Anjuman (traduction Franck Merger) et Olivia Tapiero, décembre 2021 (n°33)

Muscle, Pascale Petit et Hai Zi (traduction Bingjie Luan et Laura Vazquez), octobre 2021 (n°32)

Muscle, Jean D’Amérique et Maude Veilleux, juillet 2021 (n°31)
