
©MariBlanche Hannequin
« Je regarde car je ne peux plus voir. Se mettre en route pour voir, est-ce un projet cela, un objectif ? Je n’en vois pas d’autre. » (Joël Vernet en son double mandchou)
Indispensables au bagage sensible de tout honnête homme (iel) d’aujourd’hui, les livres à poster de la de collection Pour dire une photographie (Serge Airoldi) de la maison d’édition Les petites allées mettent en regard une photographie et un écrivain déployant à partir d’icelle son imaginaire – en dix mille signes.
Avant un formidable Linda Tuloup/Yannick Haenel (chronique à paraître), le dernier-né des éditions charentaises offre à Joël Vernet l’occasion d’exercer son talent d’auteur, à partir d’une photographie de MariBlanche Hannequin, dont l’œuvre est régulièrement présentée à la galerie Arrêt sur l’image, à Bordeaux.
Il y a chez la photographe, ayant très souvent voyagé du côté de l’Afghanistan et du grand Est, un tropisme de l’errance associé au goût des peuples abordées dans leur diversité, sans exotisme.
Que voit-on d’abord dans le petit rectangle de papier noir/blanc exposant Chine, Mandchourie, 2006, avant que l’écriture de Regard perdu ne nous entraîne sur de plus amples chemins ? Le profil très sombre d’un homme dans un train, regardant à partir de la fenêtre de son wagon défiler le paysage, l’instant arrêté montrant un fleuve enserré dans un paysage de neige, et, à l’avant-plan, deux petites bouteilles d’eau posées sur une tablette.
Un regard oblique, une série de verticales, la sinuosité d’un cours d’eau.
Selon la doxa plossuienne, reprise peut-être inconsciemment en son introduction par Joël Vernet, ce ne sont pas nous qui prenons des photographies, mais ce sont elles qui nous prennent.
Il y a du Dante ici, une vie contemplée en son moment de carrefour dans la forêt obscure et lumineuse du sens.
Joël Vernet imagine un homme venu de la soue, un paysan, journalier, travailleur agricole, ayant décidé de laisser les cochons pour un avenir plus désirable.
L’individu prend la parole : « J’ai quitté la région, voulant filer vers le nord, les plaines d’Asie centrale, leurs montagnes. Je ne sais plus très bien où je suis. »
Mais peut-on vraiment fuir son passé ?
Peut-on vaincre la fatalité ?
Qu’est-ce qu’une vie nouvelle (Vita nuova) ?
« Je suis le mort qui revient au village. Comment vont-ils réagir lorsqu’ils me verront m’avancer sur la piste, entrer dans le village, frapper à la porte ? S’ils sont toujours là, bien sûr. S’ils n’ont pas été déplacés, eux aussi. »
Déplacés ou déportés.
Regard perdu n’imagine pas simplement le destin d’un homme en quête de liberté, mais fait comprendre sans ciller une histoire de la violence, faite aux bêtes comme aux humains indésirables aux pouvoirs totalitaires.

Joël Vernet, Regard perdu, pour dire une photographie de MariBlanche Hannequin, collection dirigée par Serge Airoldi, petites allées, 2023, 30 pages – deux cents exemplaires
https://mariblanchehannequin.com/
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