Pères et fils, affaires d’âmes, par Eric Courtet, photographe, et Marie-Hélène Lafon, écrivain

©Eric Courtet

Publié dans la bien-nommée collection « Ligatures » aux éditions Isabelle Sauvage, ils restent est un ouvrage qui questionne la relation père-fils, en photographie (Eric Courtet) et textes (Marie-Hélène Lafon).

Un père et un fils s’étreignent (première image), dans un même habit bleu semblant les confondre. Le plus ancien des deux a le visage grave, presque bouleversé.

Nous n’en saurons pas plus.

La pudeur les unit et probablement le bruissement des silences d’une vie.

Marie-Hélène Lafon dresse un portrait, mais peut-être s’agit-il d’un autre couple, plus loin, ou même non photographié, ou simplement imaginaire, peu importe : « Il est homosexuel et son père ne le sait pas. Sa mère ne veut pas qu’il le lui dise. Elle répète qu’il ne le supportera pas, qu’il lui en voudra, à elle, d’avoir si longtemps gardé le secret, qu’il aura trop honte. Il faut comprendre, pour un père, un homme, c’est plus difficile que pour une mère. Elle ajoute chaque fois en fermant les yeux qu’il le mettra à la porte, et que ce sera fini, pour toujours, il ne pourra plus venir à la maison, ils ne se verront plus, elle le perdra. Sa mère le coince. »

©Eric Courtet

ils restent, c’est la main d’un père sur le dos de son petit garçon près d’un arbre noueux, c’est une lettre commençant par « Papa, cher papa », c’est une écharpe pour supporter le même club de sport, ou la distance polie de ceux qui ne se comprennent pas vraiment.

Des yeux fermés ensemble.

Un échange de regards tendus : qui est-il ? qui est l’autre ? Qui est vraiment mon fils, mon père ?

Une solidarité de visages protégé par les herbes hautes.

Le partage d’un tissu après un bain de mer.

Des corps ne regardant pas dans la même direction.

ils restent ne lisse pas, ne joue pas la sérénade des filiations parfaites, mais expose une complexité de liens, entre évidence et conflits perceptibles, solitudes et tendresses.

« Il a compris que son père était perdu le jour où, en arrivant chez lui à l’improviste, vers cinq heures, il l’a trouvé debout devant la fenêtre du salon, lumières éteintes. On était au début de novembre, il faisait presque nuit. Son père ne l’avait pas entendu. Il était habillé comme pour sortir, avec sa parka fourrée et ses chaussures de ville. Il a dû sentir une présence, il s’est retourné et il l’a regardé sans rien dire. »

Ponctué d’images d’arbres et de paysages de mer, comme une façon d’élargir le champ et de comprendre que les racines sont plus mystérieuses que les identités généalogiques, ce beau livre de format vertical invite à l’introspection.

Qui était notre propre père ? Quel fils avons-nous été ? Qu’avons-nous hérité de lui ? L’avons-nous déçu ? Quelqu’un a-t-il failli ? Serait-il fier de moi ?

On fait du sport tous les deux, on marche tous les deux, on regarde une émission télévisée tous les deux, et l’on se manque même si l’on se retrouve chaque semaine pour le déjeuner du dimanche.

©Eric Courtet

Les portraits d’Eric Courtet sont sobres, sans effet de pathos, attentifs à la juste distance entre les corps.

Nous sommes dans les territoires de la ruralité, hier, aujourd’hui, demain.

La circulation de la parole intime n’y est pas toujours une évidence.

« Aujourd’hui encore, à presque quarante ans, quand il voit des pères ou des grands-pères porter sur le dos ou sur les épaules des petits garçons de cinq ou six ans, il retrouve aussitôt l’odeur de la nuque et des cheveux de son père et il a envie de pleurer. »

La dernière photographie est superbe : un homme nu assis sur un lit aux draps blancs tient en l’enlaçant son enfant nu sur les genoux comme s’il le berçait.

Ils échangent un regard de reconnaissance qui émeut.

C’est une pietà de vie, mais aussi un autoportrait à deux.

Eric Courtet, ils restent, texte Marie-Hélène Lafon, éditions Isabelle Sauvage, 2023 – avec l’aide d’Emilie Teulon, directrice artistique de la galerie Le Lieu à Lorient

https://editionsisabellesauvage.fr/catalogue/ils-restent/

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