
« A force d’être malheureux, on finit par être ridicule. » (Voyage autour de ma chambre, Xavier de Maistre)
Toute l’œuvre d’Olivier Barrot est un éloge du voyage, de l’altérité, de la fraternité dans la différence.
Son dernier récit, Vaisseau fantôme, aurait pu être une allègre promenade en bateau de croisière de luxe du côté de l’Amérique du Sud, mais la réalité de la dernière pandémie mondiale l’a rendu glaçant.
Engagé en mars 2020 comme conférencier sur le Zaandam – 700 cabines, un très bel orgue blanc et des guitares signées par de grands noms de la musique suspendues aux murs -, l’écrivain se retrouve soudain prisonnier d’un bateau indésirable.
Il faut s’enfermer dans sa cabine – tous n’ont pas de hublot, ou de sabord -, endurer l’ennui.
Les rumeurs circulent, on apprend qu’il y a des morts, la tension s’intensifie.
Les pays se ferment, les ports repoussent le navire des pestiférés, l’errance prend une dimension ontologique.
Les passagers seront-ils abandonnés à leur triste sort ? L’affaire prend une dimension mondiale, les chancelleries sont alertées, on ne sait rien des tractations entre pays.
« Un jour, écrit dans son incipit Olivier Barrot, j’ai rencontré la vérité. Ce n’est pas là une citation, même si cette phrase résonne comme telle. On dirait le titre d’une pièce de Pirandello. Peu importe, elle s’impose à moi, elle surgit souveraine parmi les milliers d’intitulés dont je conserve la mémoire, elle va de soi. Ce dont il s’agit ici ressortit bel et bien à une quête de vérité digne de ce nom, révélation involontaire, imprévisible et cependant incontestable. Un jour, j’ai rencontré la vérité, à bord d’un navire à la dérive dans les eaux du Pacifique et de l’Atlantique, vérité de soi-même et vérité d’autrui. »
Le lecteur admiratif de Valery Larbaud et de Bruce Chatwin se retrouve malgré lui le personnage d’une nouvelle terrifiante de Joseph Conrad.
Les premières escales sont parfaites – Buenos Aires, Montevideo, les Malouines, la Patagonie -, des rencontres se créent, le coronavirus dont on commence à parler un peu a pour le moment moins d’effet que la bière mexicaine Corona.
Puis tout se précipite, la voix du commandant de bord devient solennelle, les personnages tintinesques qu’a pu observer avec acuité l’écrivain prennent peur.
La tragédie n’est pas loin, les ponts sont coupés, maintenant, mes amis, il n’y a plus d’ami.
Informations, désinformations, incompréhensions, silence.
Les médicaments manquent pour bon nombre de passagers, il faut trouver des solutions de ravitaillement, agir dans la clandestinité.
Un homme très âgé tombe dans sa cabine sans avoir pu appeler à l’aide, mort.
Un couple illégitime s’inquiète d’être découvert.
Comédie et drame, drame et comédie.
Sensation d’absurde.
La mort rôde.
Vaisseau fantôme est un huis clos dans une immensité océanique, mais aussi de peur.
Comme dans les récits initiatiques, il existe cependant une porte étroite par laquelle passer pour se retrouver sain et sauf de l’autre côté du mal.
Elle est révélée dans ce livre, à chacun néanmoins de la trouver.

Olivier Barrot, Vaisseau fantôme, Gallimard, 2023, 94 pages