
©Stéphane Duroy
Photographe majeur par sa radicalité de point de vue et son questionnement constant sur le mal dans sa double dimension concrète et métaphysique, Stéphane Duroy est un veilleur, un guetteur, une vigie de lucidité dans la tourmente des jours.
S’il rend compte de la fierté ouvrière (common decency), notamment par ses portraits de mineurs du Pays de Galle, sa conscience est tout entière heurtée par l’incroyable capacité de l’humain à s’autodétruire.
Stéphane Duroy photographie la vie nue, les abandonnés, les effets d’une biopolitique sélectionnant les pleurables des non-pleurables.

©Stéphane Duroy
Les puissants ne peuplent pas ses images, mais les enfants, les âmes égarés, les parias, les gens ordinaires.
Son travail est politique, non au sens d’une dénonciation somme toute assez stérile des ravages du capitalisme en son stade de décomposition avancée, mais parce que chaque être est perçu à la fois comme singulier et intimement affecté par l’Histoire.
L’Histoire, méphitique, destructrice, ambiguë, interroge chacune de ses photographies, l’humanité étant représentée dans son effort de survie, alors que les effets délétères des deux Premières Guerres mondiales ne cessent d’être perceptibles dans nos quotidiens cachant par le vernis des apparences et des distractions ce qu’ils contiennent d’épouvante.

©Stéphane Duroy
Les corps suppliciés des combattants des tranchées de Verdun et des martyrs d’Auschwitz, leur détresse, leurs cris d’agonie, sont toujours là, au présent, parmi nous.
L’Europe n’existe plus, partie en fumée dans les fours crématoires de Birkenau, c’est une chimère, un semblant, une fiction nous tenant lieu de monde, alors que la blessure et la honte habitent l’ensemble de nos cellules.
L’œuvre de Stéphane Duroy est celle d’un solitaire témoignant d’une solidarité de fond avec les inconnus, ses frères.
Les palais tombent en ruine, le drapeau américain est troué, les caravanes de la misère sont défoncées.

©Stéphane Duroy
La Phynance règne (Ubu roi), nous expulse, nous broie en ricanant.
Il neige sur les matelas crevés de la mélancolie.
Les murs tombent (Berlin), mais pour quel résultat ?
Une main se tend, qui s’appelle Lazare, chaque instant est celui d’une vérité mettant à l’épreuve notre sens de la charité.
Une faux s’abat, un homme tombe, qui se penchera pour recueillir ses dernières paroles ?

©Stéphane Duroy
Pourquoi donc la photographie, cet art si facile mais si difficile, Monsieur Duroy ?
Parce que les désastres de la guerre.
Parce que le lait pourri de la tendresse humaine.
Parce que la beauté – tôt massacrée – des enfants.
Parce que les larmes transformées en actes.
Qu’est-ce que votre œuvre, Monsieur Duroy ?
Un travail au long cours nous rappelant notre commune dignité, et notre indignité.

©Stéphane Duroy
Qu’il photographie en noir & blanc ou couleur, Stéphane Duroy perçoit l’effondrement dans le spectacle des existences percutées par l’Histoire (Royaume-Uni, Irlande, Etats-Unis, Pologne, Allemagne), l’esseulement, l’informe.
Il expérimente, brise ses livres, cherche les points de basculement, questionne la société du crime – un meurtre commis en commun, disait Freud, et toujours rejoué -, dessine chaque jour (la guerre en Ukraine depuis le 24 février 2022).
Un Photo Poche essentiel vient de paraître, qui permettra à chacun d’appréhender l’étendue de son regard et de ses réflexions.

©Stéphane Duroy
Chaque image pourrait être longuement étudiée – je le ferai probablement ailleurs.
Dans un monde où toute présence s’adosse sur une absence fondamentale, sorte de néant aspirant les corps, engloutissant les énergies, défigurant la beauté première, Stéphane Duroy compose un vaste thrène de lyrisme sec.

Photo Poche Stéphane Duroy, introduction d’Hervé Le Goff, direction éditoriale Géraldine Lay, assistantes éditoriales Nesma Merhoum & Axelle Aldon, création graphique Wijntje van Rooijen & Pierre Péronnet, mise en page Anne Ambellan, fabrication Sophie Guyader, Actes Sud, 2023, 144 pages
https://www.actes-sud.fr/catalogue/stephane-duroy

©Stéphane Duroy
Stéphane Duroy est représenté en France par l’Agence VU’ (Paris)– exposition du 11 janvier au 22 février 2024
https://agencevu.com/fat-event/stephane-duroy-stephane-duroy-2/
